On vous conduit dans une pièce exiguë, vous bande les yeux et vous assoit chacun sur un fauteuil. C’est ainsi que débute le jeu. Autour de vous commencent alors à survenir d’étranges et effrayants événements, et il ne vous reste plus qu’à hurler et espérer que le liquide coulant sur votre bras n’est que de l’eau et non du sang, contrairement à ce que promet la voix malfaisante de l’animateur. L’un de vos amis ne tient pas le coup et arrache le bandeau, lui entravant la vue. Pour lui, l’aventure prend fin prématurément.
À quel point le citoyen lambda est-il prêt à s’immerger dans une ambiance terrifiante et à endurer une quête parsemée d’éléments horrifiques ? C’est en se basant sur cette réflexion que la startup Morpheus, fondée à Moscou en 2015 et ayant depuis conquis une quinzaine d’autres villes de Russie, inaugure à présent des filiales à l’étranger. Ce jeu est comparable à une mise en scène théâtrale, mais ici les spectateurs ne sont qu’au nombre de 5 et chacun d’eux s’avère être l’un des héros principaux de l’intrigue.
Lire aussi : Roulette russe: quand l'électricité remplace le pistolet
Le concept ? Interagir un maximum avec les sens des participants, exacerbés une fois leurs yeux bandés. Ce qui fait le plus travailler l’imagination ce sont les odeurs. À l’hôpital plane un parfum de médicaments, dans la voiture, celui du carburant, et sur la veste d’un militaire, celui du tabac. De plus, il est possible de tout toucher : dans les poubelles se trouvent du coton imbibé de sang, dans la salle d’opération, un scalpel, sur la table, du chocolat et un ordinateur, dans la poche de cette veste militaire, des ampoules.
La voix d’un animateur vous décrit ce qu’il se passe dans ce monde fictif, mais la majeure partie du travail de création d’événements se produit en votre for intérieur. Un autre acteur est en charge des odeurs, des contacts physiques, des personnages secondaires. Il « sonorise » l’action : tire avec un pistolet, brise une fenêtre. Le jeu oblige les participants à effectuer un choix moral : aider, tuer, s’enfuir, rester.
En février 2018, à Zagreb, en Croatie, a été inaugurée la première salle Morpheus d’Europe, et la réaction des locaux a étonné les organisateurs. Au cours du jeu, tout participant dispose du droit individuel de sortir de la salle, s’il pense ne plus être en mesure de supporter la tension.
Selon les organisateurs, dans les villes de Russie les gens ressentent régulièrement de la peur ou de fortes angoisses, mais sur les plus de 5 000 parties ayant été réalisées à travers le pays, la quantité de sorties prématurées d’un unique joueur ne dépasse pas les 200, soit 4%.
Lire aussi : Course des héros: pourquoi attire-t-elle autant les informaticiens et les banquiers?
Néanmoins, dans la capitale croate, sur les 37 parties organisées pour le moment, la moitié a vu au moins l’un des participants ne pas réussir à contenir ses émotions et quitter le jeu. Dans 5 cas, c’est même toute l’équipe qui a été prise de panique, la poussant à s’en aller plus tôt que prévu. Parmi ceux n’étant pas parvenus à rester jusqu’au bout se trouve d’ailleurs le célèbre homme politique croate Ivan Pernar, qui a pris la fuite à la 7ème minute, un record absolu !
En réalité, la psychologue Tatiana Ganiïeva considère que la popularité en Russie de ce genre de jeux terrifiants peut s’expliquer par le fait que lors de leur journée de travail, les Russes retiennent en eux énormément d’émotions négatives, alors qu’en Europe la journée de travail n’est pas aussi intense. C’est pourquoi de telles mises en scène apparaissent, aux yeux des étrangers, plus comme un choc qu’un défouloir.
Cette situation ne contrarie cependant pas les organisateurs. « Heureusement, le format que nous avons imaginé est très maléable, confie en effet Nikita Proskouriakov, l’un des fondateurs de Morpheus. Un jour, il y a trois ans, nous avons rehaussé le niveau de peur du scénario afin de correspondre aux intrépides Russes, maintenant nous allons l’abaisser un peu spécialement pour les étrangers ».
« Avons, nous changions seulement le nom géographique du jeu pour les différentes régions, à présent, de toute évidence, nous modifierons également le niveau d’effroi. Aujourd’hui, nous sommes nous-mêmes très intrigués à l’idée de voir comment se passeront les choses à Los Angeles, où les parties commenceront à se tenir de manière régulière dans quelques mois », précise-t-il.
Lire aussi : Trois jours dans les Forces spéciales, ou comment survivre dans l'armée russe
Au-delà du concept de Morpheus, il existe en Russie de nombreux jeux de quêtes effrayants semblables à des films d’horreur. C’est le cas par exemple de Zvonok (l’appel téléphonique), de Tekhasskaïa reznia bensopiloï (Massacre à la tronçonneuse du Texas), Ono (Ça), et de bien d’autres encore. Dans ce genre de jeux entrent en scène des acteurs professionnels, capables, si le scénario est interprété de manière convaincante, de mener certains participants jusqu’à l’hystérie.
D’après les créateurs de Morpheus, Alexander Kniazev, Piotr Kopylov et Nikita Proskouriakov, n’importe quelle émotion forte, y compris la peur, permet de renforcer le goût de la vie. Les films d’horreur, les sports extrêmes, tout cela engendre la synthèse des sécrétions d’adrénaline, qui, comme on le sait, est liée à la production de dopamine, l’hormone du plaisir.
« De telles +piqures de peur+ aident pleinement à lutter contre la pression et rendent la personne plus résistante aux éventuels dangers. Tout cela peut être observé positivement uniquement lorsque la personne a conscience qu’aucun danger réel ne le menace, et que son contrôle de la situation est préservé », conclut Tatiana Ganiïeva.
Les Russes n’ont-ils vraiment peur de rien ? Nous cherchons à expliquer ce phénomène dans cet autre article.
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.