Le tsar Pierre Ier et sa cour par Stanisław Chlebowski.
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Pierre le Grand fit de la « Russie des popes » une grande puissance en élargissant les frontières, en remportant la Grande guerre du Nord, en ouvrant un accès à la mer Baltique et en fondant Saint-Pétersbourg, mais également un État laïc. C’est lui qui, après avoir suivi une formation en Hollande et en France, contraint les boyards (aristocrates russes) à jeter leurs vêtements traditionnels et à apprendre à se servir d’un couteau et d’une fourchette.
Pour expliquer à tout un chacun comment se comporter en société, le tsar a besoin d’un ouvrage de référence. Il fit éditer, il y a trois cents ans, L’Honnête miroir de la jeunesse qui comprend deux parties : la première expose les règles de lecture et de calcul, tandis que la seconde se focalise sur l’étiquette. Voyons ce que Pierre le Grand voulait apprendre à ses sujets.
Les toutes premières lignes de l’ouvrage sont consacrées au respect qu’il convient de vouer à son père et à sa mère : « Lorsque les parents donnent un ordre, il faut les écouter avec un grand respect, comme si vous étiez un page ou un serviteur ».
Les arguments des parents, auxquels le jeune noble devait son succès et sa position dans la société avaient force de loi : Pierre le Grand recommande aux jeunes « de ne pas parler sans permission » en présence de personnes plus âgées et de leur adresser la parole sur un ton empreint d’un profond respect.
Le livre indique qu’un noble se doit d’être respectueux même envers ses ennemis, ne jamais les calomnier et contenir son aversion : « Fais toujours l’éloge de tes ennemis en leur absence, respecte-les et aide-les dans le besoin en leur présence. En outre, ne dis pas de mal des morts ».
Le tsar conseille également de s’abstenir d’une trop haute estime de soi, au moins en public : « Ne jamais se surestimer ni se sous-estimer ». Il met en garde contre des louanges concernant sa propre famille, même si celle-ci est des plus nobles, puisque « ce n’est pas ton mérite ». « Il faut attendre que ce soient les autres qui te flattent », souligne-t-il.
Ce tsar, que le grand Alexandre Pouchkine a qualifié en 1826 de « travailleur sur le trône », juge indispensable d’aimer le labeur : « Un jeune noble doit être allègre, appliqué et inquiet comme un pendule ». Les auteurs du livre affirment qu’un noble consciencieux aura des domestiques consciencieux, grâce à quoi la Russie connaîtra à son tour la croissance et le bien-être.
Pierre le Grand appelle les jeunes nobles des deux sexes à être de bons chrétiens, à vouer de l’estime au clergé et à aller à l’église tout en s’abstenant de tentations comme « la fornication, les jeux de hasard et l’ivrognerie qui ne peuvent apporter qu’un grand malheur ».
Dans les chapitres consacrés aux jeunes filles, les auteurs répètent que la vertu et l’abstinence sont particulièrement importantes avant le mariage. C’est avec un grand dégoût qu’ils décrivent le comportement d’une « fille dépravée » : « Elle rit avec tout un chacun, court les rues, s’assoit à côté des hommes et chante des airs empreints de débauche. Elle s’amuse et elle boit, elle saute sur les tables et les bancs ». En lisant ces lignes aujourd’hui, on aurait tendance à croire qu’il s’agit d’une simple boum, mais au XVIIIe siècle il était inadmissible de se comporter de la sorte.
À en juger d’après le livre, les bonnes manières à table n’étaient pas le point fort des nobles russes au début du XVIIIe siècle. « Ne t’empare pas du plat en premier, ne bouffe pas comme un porc, note le tsar. Prends-le en dernier quand tu te vois proposer quelque chose, prends-en un peu et laisse le reste aux autres ». La liste des interdictions à respecter est assez longue : un noble ne doit pas se lécher les doigts, ronger des os, s’essuyer la bouche avec sa main, se gratter, manger bruyamment ou renifler.
Côté alcool, le tsar Pierre, qui était un grand amateur de fêtes bien arrosées, ne l’interdit pas. Pour rester poli, il faut « d’abord refuser puis accepter dans une révérence ». Sans toutefois en abuser, fait-il remarquer.
Cette notion différait quelque peu au XVIIIe siècle de son acception actuelle. « Quand on est debout ou assis en rond, personne ne doit cracher à l’intérieur, mais uniquement à l’extérieur », dit le tsar. D’ailleurs, si on crache, il faut « brouiller les pistes » : écraser avec le pied ou cracher dans un mouchoir avant de le jeter discrètement par la fenêtre.
Et d’ajouter : il est interdit « de renifler pour ensuite avaler sa morve ». Un noble doit se moucher, mais doucement. Le livre condamne ceux qui « se mouchent comme s’ils soufflaient dans un trombone en effrayant les enfants ».
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