Jean Baptiste Oudry. Portrait du Tsar Pierre Ier.
Maria TchobanovLe 21 avril 1717, le tsar russe Pierre le Grand foula pour la première fois le sol de la France et seize jours plus tard, il entrait à Paris. « Il reste le plus grand hôte étranger que Paris ait jamais vu », a écrit Alfred Nicolas Rambaud, historien et homme politique français.
Crédit : Maria Tchobanov
L'exposition intitulée 1717 : Un tsar à Paris. Tricentenaire de la visite de Pierre le Grand en France présentée au Centre spirituel et culturel orthodoxe russe (1, quai Branly) jusqu’au 21 mai évoque les principaux événements et les anecdotes historiques qui ont marqué le séjour du premier tsar-voyageur russe dans la capitale française. Elle démontre également à quel point ce voyage a contribué aux transformations que la Russie a connues sous le règne de Pierre Ier.
Le cortège du tsar russe est entré à Paris le 7 mai 1717. Refusant d’occuper les appartements prévus pour son séjour au Louvre, Pierre Ier s’est installé à l’hôtel Lesdiguières, rue de la Cerisaie, où il attendit la visite du roi français Louis XV. La rencontre fut organisée le 11 mai 1717. Le tsar se présenta dans un nouvel habit bleu clair brodé d’argent confectionné par les maîtres parisiens. Selon le cérémonial établi, le jeune roi a adressé à son interlocuteur un compliment qu’on lui avait fait apprendre par cœur.
Au lieu de lui répondre, cédant à son instinct paternel, le tsar le prit brusquement dans ses bras et, l’élevant à la hauteur de son visage, l’embrassa à plusieurs reprises. Le jeune roi avait à l’époque 7 ans. La cour fut frappée de stupeur : nul n’avait le droit de toucher le roi. Suite à cette rencontre, Pierre le Grand écrivit à son épouse dans une lettre dont la copie est présentée à l’exposition : « Le géant de roi local m’a rendu visite. Il est à peine plus grand que notre nain Louka, mais il a une très belle mine et une belle stature et il est très sage ».
Le programme chargé prévu pour le tsar russe comprenait des visites officielles et des cérémonies protocolaires. En premier lieu, le tsar visait des objectifs diplomatiques, mais il a également consacré beaucoup de temps à des voyages d’étude et à des rencontres avec les savants et maîtres dans le domaine des arts.
Dans une des vitrines se trouve une liste des curiosités de Paris et de ses environs, rédigée par Conon Zotov (qui a séjourné en France pour étudier l'organisation de la flotte française) pour Pierre Ier, avec les remarques faites par le tsar au crayon de papier. Selon cette liste, ce tout premier touriste russe de l’histoire s’intéressait aux multiples aspects du fonctionnement de la capitale française : son aménagement, ses styles architecturaux et richesses artistiques, le mode de vie de ses habitants.
Dans cette liste figurent « la pompe sur le pont de Notre-Dame pour conduire l’eau à toute les pompes de Paris », mais aussi « moine Sébastien, mathématicien », « le potager royal où différentes herbes sont plantées » ou encore le « Luxembourg où la galerie est peinte par le peintre glorieux Monsieur Rubens ».
Voilà comment le comte d’Haussonville décrit une partie du programme des visites du tsar russe : « Le jour même de sa réception aux Tuileries, il avait visité dès 8 heures du matin, la place Royale, la place des Victoires, la place Vendôme. Le 12 mai on le conduisit à l’Observatoire, aux Gobelins, au Jardin du Roi ; le 14 à la grande galerie du Louvre où on lui montra le plan des villes fortifiées ; le 16 aux Invalides où il goûta la soupe des soldats, but à leur santé, et, après avoir tâté le pouls à l’un d’eux qu’on tenait pour perdu, lui prédit qu’il en reviendrait (pronostic qui se vérifia) ; le 17 à Saint-Cloud ; le 18 à Issy ; le 21 au Luxembourg ; le 23 à Meudon ; le 24 aux Tuileries ; le 25 à Versailles ; le 26 à Marly… » (Revue des Deux Mondes tome 137, 1896).
Le 19 juin, Pierre Ier rend sa première visite à l’Académie royale des Sciences qui occupait une place de premier plan parmi les plus importantes institutions scientifiques d’Europe. L’illustre visiteur fut accueilli par 42 académiciens conduits par l’abbé Jean-Paul Bignon, président de l’Académie. Au courant de l’intérêt du tsar pour les sciences naturelles, ils lui ont présenté un modèle de bélier hydraulique, une expérience visant à obtenir des cristaux de sulfate de zinc, un nouveau modèle de cric à crémaillère au grand pouvoir portant et d’autres inventions.
Sept ans plus tard, le 28 février 1724, le tsar signe le décret d’institution de l’Académie des Sciences à Saint-Pétersbourg. Parmi les éminents esprits de l’Europe invités par Pierre le Grand en Russie, une place à part fut occupée par Joseph-Nicolas Delisle qui était à l’origine de la science astronomique russe.
Paris a beaucoup plu au monarque russe. Sur les gravures de la fin de XVIIe siècle exposées au Centre culturel, on peut voir les vues de la capitale telles que Pierre les a découvertes. C’est le duc d'Antin, qui l’accompagna dans tous ses déplacements, qui lui a offert deux albums avec les plans et dessins des châteaux de Versailles et de Marly. Pierre était particulièrement intéressé par ces résidences et l’aménagement de leurs parcs avec les fontaines.
Les invités conviés à ce voyage étaient dans leur majorité des artistes, des architectes et des artisans. On compte parmi eux l’architecte Jean Baptiste Alexandre Le Blond, le sculpteur Bartolomeo Carlo Rastrelli, les peintres Louis Caravaque et Philippe Pillement, le ciseleur Nicolas Pineau, les maîtres fontainiers Soualem et beaucoup d’autres qui ont façonné, en grande partie, l’aspect de Saint-Pétersbourg et des résidences suburbaines.
À l’occasion du 45e anniversaire de Pierre Ier, le 10 juin 1717, une grande fête avec musique, danses et illuminations ainsi qu’un magnifique feu d’artifice a été organisés dans le parc de Marly. Les festivités se prolongèrent tard dans la nuit, laissant au tsar les impressions les plus agréables.
Ebloui par le faste des fêtes de la cour et de la noblesse française, Pierre le Grand impose par force la pratique des « assemblées » aux boyards dès son retour en Russie. Le souverain choisissait personnellement celui qui aurait l’honneur de recevoir. Lors des « assemblées », organisées sous surveillance de la police, les invités dansaient, buvaient, fumaient, jouaient aux échecs et pratiquaient les conversations mondaines.
On y servait du thé, du café, du lait d’amande, du miel et de la confiture aux dames et du tabac aux messieurs. L’alcool coulait à flots et les diplomates étrangers préféraient éviter ces réceptions où on les faisait boire jusqu’à l’ivresse la plus complète.
Les transformations touchent également la mode vestimentaire. Plus à l’aise en habits simples et confortables de charpentier hollandais, Pierre apparaissait après son retour de France plus souvent en public dans un costume correspondant à son statut, mais aussi selon la dernière mode française.
Il convient de noter que les femmes soutenaient le tsar dans ces efforts avec plus d’enthousiasme que les hommes : elles appréciaient les robes européennes. Néanmoins, être « fashionista » à cette époque n'a pas été une mince affaire. Saint-Pétersbourg comptait deux coiffeurs professionnels. Pour garder leurs coiffures le plus longtemps possible, les dames dormaient assises.
Pierre le Grand a ramené de Paris des ustensiles de cuisine, des accessoires de cabinet de travail, des armes et plusieurs calèches. Impressionné par l’ameublement des maisons royales de France, il achète dans la mercerie d’Edme Calley des lits, des armoires et des tables. Des sommes importantes furent déboursées pour des toiles, des vêtements, des chaussures et des accessoires de mode.
Sergeï Mezine, l'auteur du livre Pierre Ier en France (Saint-Pétersbourg, 2017), montre les gravures avec les vues de Paris, la capitale telle que Pierre le Grand l'a découvert en 1717. Crédit : Maria Tchobanov
Un volet de l’exposition évoque le développement des manufactures en Russie après le voyage de Pierre Ier. En France, il a prêté beaucoup d’attention au travail des artisans, mais c’est la fameuse manufacture des Gobelins à Paris qui l’a le plus impressionné. Dans sa lettre au prince Menchikov datée de 23 mai 1717, Pierre décrit avec beaucoup de précision les travaux des tapissiers, des dessinateurs, les tentures et les filés fournis pour leurs besoins. Il envoie à Saint-Pétersbourg des tapissiers français expérimentés et donne le coup d’envoi de l’industrie tapissière russe.
Le contexte politique précédant la visite de Pierre à Paris était très compliqué, la Russie peinait à surmonter les tensions qui marquaient ses relations avec la France. La préparation d’un traité d’amitié et d’alliance russo-français était le but majeur du voyage du tsar. Il a participé personnellement à l’élaboration des clauses principales du traité d’alliance qui fut conclu entre la Russie, la France et la Prusse le 4 août 1717 à Amsterdam, et constitue le premier traité dans l’histoire des relations franco-russes. Sa copie fait partie de l’exposition. On peut y voir les signatures du chancelier russe le comte Golovkine, du vice-chancelier Chafirov et du célèbre diplomate et francophile qu’était le prince Kourakine, qui a servi d’interprète dans toutes les négociations, et est devenu l'un des premiers ambassadeurs à Paris, après le tout premier – le baron Schleinitz.
Traité d’alliance qui fut conclu entre la Russie, la France et la Prusse le 4 août 1717 à Amsterdam, le premier traité dans l’histoire des relations franco-russes. Sa copie fait partie de l’exposition. On peut y voir les signatures du chancelier russe le comte Golovkine, du vice-chancelier Shafirov et du célèbre diplomate et francophile prince Kourakine, qui a servi d’interprète dans toutes les négociations, et est devenu l'un des premiers ambassadeurs à Paris, après le tout premier – baron Schleinitz. Crédit : Maria Tchobanov
« À partir de ce jour, les deux pays cessèrent d’être étrangers l’un à l’autre. Non seulement des relations diplomatiques régulières furent établies par l’envoi de ministres caractérisés, comme on disait alors, mais les Russes commencèrent à venir en grand nombre à Paris ; les Français prirent le chemin de Saint-Pétersbourg ; et de ce voyage justement célèbre datent, entre les deux peuples, ces sentiments d’instinctive amitié, qui, traversés parfois par les erreurs de la politique, méconnus par les rêves de l’ambition, n’en renaissent pas moins, toutes les fois que les circonstances deviennent favorables, avec l’indestructible vitalité des sympathies naturelles et des intérêts permanents », a écrit, dressant le bilan de ce voyage, le comte d’Haussonville dans son article La visite du tsar Pierre le Grand en 1717 d’après des documents nouveaux, rédigé il y a 120 ans et qui reste encore d’actualité.
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