À une vingtaine de minutes de marche du Kremlin et à deux pas de la célèbre place Loubianka, dans le quartier surnommé « français », les touristes découvrent une église en pierre dont le style évoque « l’architecture initiale du Panthéon de Rome », note Alexandre Mojaïev, spécialiste de l’histoire de Moscou. Orné d’un portique d’un blanc éclatant à six colonnes doriques et de deux modestes clochers, le bâtiment se détache sur la toile de fond des constructions environnantes.
C’est l’église Saint-Louis-des-Français de Moscou : elle a été construite en 1833 d’après le projet de l’architecte d’origine italo-suisse Alessandro Gilardi, avec la participation du sculpteur italien Santino Campioni, pour la communauté française locale dont l’histoire est vieille de plus de quatre cents ans.
Le long cheminement
Crédit : Elena Kazatchkova |
M. Mojaïev rappelle dans un article, La France à Moscou : promenade historique, que les premières informations sur la présence des Français dans la capitale russe, essentiellement des marchands, datent du début du XVIème siècle, sous Ivan le Terrible. Le premier Français à se faire un nom à Moscou est Jacques Margeret, un mercenaire qui, après avoir accompli son service de six ans dans la cavalerie commandée par Boris Godounov, rédigea État de l’Empire de Russie et du Grand-duché de Moscovie, ouvrage de référence sur la Russie au début du XVIIème siècle.
Comme tous les Européens arrivant à Moscou, jusqu’à la seconde moitié du siècle, les Français s’installèrent intra-muros, principalement dans les quartiers est. Mais, relate l’historien, les Moscovites de souche dénoncèrent l’apparition clandestine de salles de prière non orthodoxes dans la ville et, à partir de 1649, les étrangers durent déménager à Nemetskaïa sloboda (faubourg dit « allemand ») situé en dehors de Moscou.
C’est d’ailleurs dans ce faubourg que la ville voit apparaître la première église catholique de Moscou qui a existé dans ce lieu jusqu’à la fin du XIXème siècle.
Les Français avaient commencé à revenir dans l’enceinte de la ville au début du XVIIIème siècle, après le transfert de la capitale du pays à Saint-Pétersbourg. La communauté française s’est concentrée aux abords du Kremlin, là où se situe aujourd’hui l’église Saint-Louis-des-Français. Des témoignages en subsistent. Ainsi, non loin de l’église, la ruelle Fourkassovski doit son nom au tailleur français Pierre Fourcassé, dont l’atelier était situé tout proche. La rue voisine, Kouznetski most (Pont des forgerons), devenue avec le temps la principale rue commerçante de Moscou, était celle où les marchands français vendaient des vins, des fromages, des tissus et des chapeaux.
Sous Élisabeth Ière et Catherine II, qui signa un document concédant des privilèges aux étrangers, la ville accueillit des médecins, des précepteurs, des musiciens et des artisans. Après la Révolution française, de nombreux aristocrates gagnèrent Moscou, fuyant Napoléon.
À la fin du XVIIIème siècle, la communauté française comptait environ 500 membres. Les démarches successives formulées par ses représentants pour construire une église catholique avaient été systématiquement rejetées. Ce n’est qu’en 1789, trois ans après la signature de l’accord sur une entière liberté de religion des ressortissants français en Russie, que la demande fut satisfaite par l’impératrice Catherine II et qu’une petite église en bois vit le jour. Le bâtiment fut béni en 1790 et baptisé en l’honneur de Saint Louis de France. La minuscule église sans clocher, construite sur des terres prises à bail, pouvait tout juste accueillir la communauté française qui ne cessait pourtant de s’agrandir.
Cette église en bois ne dura pas longtemps. Pendant la guerre de 1812 contre Napoléon, Moscou fut la proie d’un énorme incendie et l’église française dévorée par les flammes comme la plupart des bâtiments en bois de la ville.
Passage du bois à la pierre
Crédit : Elena Kazatchkova |
Une nouvelle église ne fit son apparition que vingt ans plus tard. « Cette église est un exemple du style néo-classique, très populaire alors en Russie, qui nous vient d’ailleurs de France. À l’époque, toutes les églises catholiques d’Europe ont cet aspect », indique un autre historien de Moscou, Nikita Broussilovski.
« Dans l’alcôve de l’autel dédié à Notre-Dame-de-Lourdes, une peinture murale reproduisait la fresque de Raphaël, La Transfiguration. D’autres étaient consacrées aux principaux protecteurs de la France : Saint Louis, Antoine de Padoue ou Jeanne d’Arc. Les fenêtres demi-lune étaient garnies de vitraux, mais ces derniers ont été détruits pendant la Seconde guerre mondiale. Un seul a survécu : celui qui représente Saint Joseph ».
L’extérieur de l’église était bien plus modeste que son décor intérieur. Alexander Mojaïev l’explique par le fait que la communauté française avait des moyens, mais cherchait à ne pas trop attirer l’attention des Moscovites.
À la fin du XIXème siècle, l’église s’élargit à plusieurs bâtiments voisins, occupés par un gymnase pour garçons et un autre pour filles, l’hospice de Sainte Dorothée et la maisonnette de l’organiste. La communauté put profiter du patronage d’hommes d’affaires français venus vivre en Russie, comme le célèbre commerçant de vins Léger. La paroisse enregistra l’arrivée de nouveaux paroissiens, tant des catholiques d’autres pays européens que des Moscovites convertis au catholicisme, très en vogue à l’époque.
Vitrine de la liberté pendant l’ère soviétique
En 1917, année charnière de l’histoire russe, l’église comptait un peu plus de 2 500 fidèles. Durant les vingt années qui suivirent la Révolution d’Octobre, les prêtres et les paroissiens furent régulièrement victimes de la répression, tandis que l’église était au bord de la ruine. « Tout comme les autres Moscovites, les membres de la diaspora française subissent les fléaux de l’époque, comme la famine, les bouleversements de la guerre civile et la densification de la population, raconte Nikita Broussilovski. Tous les bâtiments lui sont confisqués, il ne leur reste que l’église. La police politique tente à plusieurs reprises de fermer la paroisse, mais sans succès ». La communauté française a semble-t-il rassemblé toutes ses ressources pour « racheter » l’église aux autorités soviétiques.
En 1938, Saint-Louis-des-Français se retrouva seule représentante du culte après la fermeture des deux autres églises catholiques de Moscou. Elle le resta jusqu’à la perestroïka, après avoir été l’une des deux seules églises catholiques de la république socialiste soviétique de Russie, faisant office de « vitrine de la liberté de religion » en URSS.
Un nouveau départ
Dans les années 1990, après la mise en place de l’administration apostolique pour les catholiques de rite latin de la partie européenne de Russie, Saint-Louis-des-Français tourne une nouvelle page de son histoire : un nouveau curé est nommé, les travaux de restauration sont achevés et l’église accueille de nombreux Européens venus vivre et travailler en Russie.
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L’un d’eux est Bruno Bisson, professeur de français à l’Institut des relations internationales de Moscou et à l’Université de l’amitié des peuples, qui vit en Russie depuis douze ans. Pour lui, Saint-Louis-des-Français est le centre de la vie française dans la capitale russe. « À Moscou, il n’existe que deux endroits pour les catholiques : la cathédrale de l’Immaculée-Conception et l’église Saint-Louis-des-Français. Le trait particulier de cette dernière est qu’elle accueille ceux qui étaient paroissiens à l’époque soviétique. Tous les Français qui habitent Moscou ou qui y viennent provisoirement » y convergent, constate-t-il. Car le gros de la communauté française se retrouve à Saint-Louis-des-Français où l’on peut certes prier, mais aussi écouter de la musique, converser avec ses compatriotes, collecter des dons, initier les enfants à la culture française et même perfectionner sa langue, fait remarquer Bruno Bisson.
Il reste qu’aujourd’hui, l’église ne compte que quelque 500 paroissiens, dont la moitié sont des enseignants et des élèves du lycée français Alexandre Dumas, prestigieux établissement de la capitale russe. Mais ce « noyau dur » entretient une présence historique porteuse d’espoir.
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