Depuis la visite de l’impératrice Alexandra Fiodorovna sur la Côte d’Azur, ce lieu a acquis une incroyable popularité auprès des Russes. Ici, ils ont suivi des cures, participé à des drames romantiques, réalisé des chefs-d’œuvre architecturaux et littéraires. L’intérêt du peuple russe pour cette région française s’observe d’ailleurs encore de nos jours.
Impératrice Alexandra Fiodorovna
W. & D. DowneyPour un Russe, la Côte d’Azur est un lieu lourd de sens. Il est dit qu’y convergent deux Russies : celle d’aujourd’hui et celle d’hier. Le lien entre les différentes époques est en effet ici bien palpable. Les plus instruits endossent volontiers le rôle de guides : « Cette maison, vous savez, Tchekhov y séjournait. Et c’est dans celle-ci que Nabokov a achevé son roman Le Don. Ici se dressait l’Hôtel Royal, dans lequel le fabriquant Savva Morozov s’est donné la mort… ».
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Depuis la découverte de la Côte d’Azur par les Russes, ceux à s’y être rendus sont nombreux. Peintres et écrivains, poètes et princes illustres, fabricants, révolutionnaires et aventuristes y ont laissé leurs traces aujourd’hui omniprésentes. C’est ainsi que des pierres précieuses se perdent entre les galets des plages. Pour les remarquer, il suffit de baisser les yeux.
La venue à Nice de l’impératrice a été accompagnée d’un faste hors du commun, surtout pour une si modeste cité balnéaire d’à peine 50 000 âmes. Les 400 personnes composant sa suite y ont alors racheté presque toutes les habitations un tant soit peu convenables. Les sommes, proposées par les Russes, étaient deux, voire trois fois supérieures aux prix locaux habituels. En raison de la pénurie d’appartements, cette saison de plaisance à Nice est alors pour les Anglais tombée à l’eau. Une façon pour les Russes de se venger de l’humiliante défaite subie lors de la Guerre de Crimée.
Mais il ne s’agissait que du début. Les Anglais ont en effet commencé à se plaindre du chaos et du désordre, que les Russes avaient apportés avec eux. Il est évident qu’il était ici question du pharaonique chantier s’étant étendu sur la deuxième moitié du XIXe siècle à Nice.
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Certains plaisanciers russes ont fait l’acquisition de villas locales et de leurs extensions ultérieures. D’autres ont tout simplement racheté des parcelles et ont construit les leurs. En 1858 a par ailleurs été achevée la construction de l’église Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra, le premier lieu de culte orthodoxe non seulement de Nice, mais de toute la Côte d’Azur. Peu après, a, auprès de ce temple, été fondée la bibliothèque russe par le prince et poète Piotr Viazemski.
En 1867 a en outre été entamée la construction du colossal château gothique commandé par le baron Paul von Derwies, qui avait fait fortune grâce à la pose de chemins de fer et acheté 10 hectares de terre dans le secteur de Valrose. Malgré son nom, cet homme richissime était bel et bien Russe. On le nommait d’ailleurs Pavel Grigorievitch.
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Plus de 800 personnes venues des environs ont pris part au chantier. Une telle intensité a permis à l’édifice de sortir de terre en un temps record, 3 ans, mais a également paralysé tous les autres travaux de construction en ville. Le château de Valrose, ayant survécu jusqu’à nos jours, abrite aujourd’hui l’une des facultés de l’université locale.
Les brochures de la fin du XIXe siècle faisant la promotion des hôtels de Nice décrivaient un luxe inouï concomitant au loisir des grands princes dans de vastes pièces ornées de rideaux de velours. L’aristocratie russe s’y étant établi affichait cependant une diversité considérable. En évoquant Cannes en 1888, Maupassant a ainsi fait remarquer que l’on pouvait y rencontrer les altesses les plus grandes et les plus simples, les plus fortunées et les plus modestes, les plus joyeuses et les plus tristes.
Ce manoir, dans lequel le grand prince Mikhaïl Mikhaïlovitch a vécu avec son épouse, a également accueilli leurs nombreux amis. Après sa venue à Cannes, le frère du prince, Alexandre Mikhaïlovitch, a écrit que cette oisiveté ordonnée l’aurait profondément choqué quelques années auparavant, mais qu’à présent il s’était lui-même joint à ce cercle.
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Mais quand les tumultes de la Révolution ont démarré, la villa Kazbeck a fait office de refuge pour les émigrés russes, avant de devenir une résidence de plusieurs appartements. Les personnes souhaitant aujourd’hui y vendre leur bien se font rares, mais parfois de telles annonces font toutefois leur apparition.
L’histoire russe de la Côte d’Azur est répertoriée plus en détails dans les livres, sur les plaques commémoratives, et se reflète encore mieux dans la sculpture. Par exemple, à Grasse se trouve un monument en hommage à Ivan Bounine, tandis que l’impératrice Alexandra Fiodorovna en possède un à Villefranche.
Néanmoins, une particularité étonnante des environs réside dans le fait que ces statues semblent s’intégrer si harmonieusement dans le paysage qu’elles n’inspirent pas d’association avec une Russie perdue.
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Statue d'Ivan Bounine à Grasse
Ryleeva/WikipediaAu contraire, elles apparaissent comme des passerelles temporelles, comme si elles affirmaient qu’il n’y avait pas de Russie d’hier ou d’aujourd’hui, mais des représentants d’un monde russe, avec des noms singuliers, tels que « Mikhaïl Mikhaïlovitch » ou « Alexandra Fiodorovna ». On comprend donc que succédant à ceux ayant vécu autrefois sur cette Riviera française vient maintenant une nouvelle génération. La nôtre.
Bien que l’influence russe y soit moins évidente, Lyon renferme elle aussi quelques traces venues de l’Est. Découvrez-les dans cette autre publication.
Le texte est publié en version abrégée. Le texte intégral en russe est disponiblesur le site de Slon.fr.
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