« C’est maintenant que je redécouvre la Russie et je me sens de plus en plus attaché à ce magnifique pays. Je ressens de plus en plus mes origines russes », avoue Ivan Brikké, 90 ans. Pensionnaire de la Maison de retraite de Sainte-Geneviève des Bois depuis huit ans, il vit en compagnie de gens unis par leurs origines russes ou tout simplement par intérêt pour la culture et les mœurs de la Russie.
Crédit : Marina Shaymukhametova
Composée de plusieurs bâtiments, la Maison ressemble à un manoir protégé par un grand portail en fer. Le portrait de Nicolas II règne en maître dans le hall d’entrée, rappelant l’époque aristocratique effacée par les bouleversements historiques qui ont mis fin à l’Empire russe. En passant le long des couloirs lumineux, on entend çà et là des chuchotements en russe et en français.
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Après la révolution de 1917, c’est grâce au soutien d’une jeune britannique fortunée que la princesse Véra Metschersky, fille de l’ambassadeur de Russie au Japon, achète une propriété à Sainte-Geneviève-des-Bois qui héberge jusqu’à présent les descendants de l’émigration blanche.
« Mon père était un jeune officier de la Marine impériale russe, originaire de Sébastopol, relate Ivan. Après la révolution, il s’est retrouvé avec les autres émigrés à Bizerte, puis à Tunis et il avait en tout une petite valise et une balalaïka et rien de plus, pas un sou en poche évidemment. Et puis un beau jour il a rencontré ma mère… ». D’origine française, la mère d’Ivan Brikké était professeur à l’école normale de Tunis. Après le mariage, ils s’installèrent dans l’Hexagone.
Crédit : Marina Shaymukhametova
« J’ai fait mes études en France, puis en Algérie aussi pendant la guerre… et ensuite une carrière de géologue au groupe Shell représenté à l’international sur cinq continents différents ».
Ironie du sort, Ivan Brikké n’a jamais visité la Russie pendant sa carrière de 32 ans dans la fameuse compagnie pétrolière. Devenu veuf, il a décidé de suivre le conseil de ses enfants et a choisi des’installer à la Maison de retraite russe.
« Je suis entré en particulier parce que j’appartenais à l’association des Anciens officiers de la Marine impériale russe. À cette époque-là, j’étais dans une phase de déprime… J’ai vécu tout seul dans une maison trop grande, très isolée, j’ai perdu ma femme. Je ne voulais pas y aller, c’était trop loin, compliqué, etc. Mais je ne regrette pas du tout, au contraire – je redécouvre une autre vie. Ici je suis sorti d’une certaine déprime grâce à tous ces gens autour de moi qui ont toujours beaucoup de souvenirs et de choses à raconter », confie-t-il.
Ivan Brikké avoue qu’il a toujours ressenti une certaine obligation morale de retrouver ses racines russes. Pour lui, être Russe c’est avant tout garder des attitudes amicales et bienveillantes par rapport à autrui : « Je ressens dans mes racines russes ce côté humain, social, sociable. Chez les Russes en général il y a une façon d’être fraternel avec tout le monde. Et puis il y a d’autres choses aussi, il y a la fameuse ‘‘doucha’’ – l’âme russe, c’est quelque chose de difficile qui n’a pas de mot équivalent en français mais qui comprend pour moi beaucoup de choses, en particulier cette attitude humaine combinée avec un sens de la poésie peut-être, de la musique… ».
Aujourd’hui, la Maison russe accepte des retraités de toute nationalité en favorisant les échanges culturels internationaux et tout en restant fidèle aux traditions du pays de Pouchkine. « Bien sûr, les pensionnaires ici parlent français entre eux, dit-il. Mais nous avons très souvent des activités en russe. Par exemple, des petites conférences où on aborde des sujets historiques… et on essaie toujours d’apprendre un petit poème russe pour terminer l’animation. Mais on maintient bien évidemment aussi le côté franco-russe. Parce que tout cela intéresse les Français qui sont parmi nous. Il y en a qui parlent très peu, essaient d’apprendre quelques phrases ».
Selon l’infirmière Alena, qui travaille à la Maison depuis 10 ans, le personnel est composé à 50% de russophones. « Nous parlons ici les deux langues en fonction des pensionnaires, il y en a qui sont plus à l’aise en français et vice versa », dit-elle.
Ivan Brikké fait partie des 40% de pensionnaires d’origine russe. Aujourd’hui, la Maison accepte des retraités de plus de 60 ans et héberge 80 personnes.
« Nous avons énormément d’activités, je suis très pris, dit Ivan. Des animations, des échanges, des lectures, des discussions, la gymnastique, la musique aussi un petit peu. Par exemple, j’avais fait une petite conférence après mon dernier voyage à Sébastopol où j’avais décrit mes souvenirs en russe… avec des photos bien sûr, que tout le monde a beaucoup aimées », sourit-il.
Pour ce qui est du côté commémoratif de la Maison de retraite à Sainte-Geneviève-des-Bois, le directeur Nicolas de Boishue avoue que c’est grâce au soutien de la Russie qu’ils ont pu créer un centre dedocumentation sur l’émigration russe en France : « Nous avions toujours beaucoup d’archives, un vrai trésor qu’il fallait préserver. Pour rénover le bâtiment et créer un lieu de conservation de ces archives, nous nous sommes adressés à l’Ambassadeur de Russie en France. Heureusement, la réponse a été positive : la Russie nous a alloué plus de 700 000 euros pour la reconstruction de la Maison russe. Et l’année dernière le Patriarche Cyrille de Moscou s’est rendu chez nous pour célébrer un office des morts au cimetière russe ».
Le Patriarche de Moscou et de toutes les Russies Cyrille et Nicolas de Boishue (2e à droite) à la Maison russe. Crédit : Archives de Nicolas de Boishue
Tout près du lieu d’hébergement des pensionnaires se trouve le plus grand cimetière russe d’Europe occidentale – celui de Sainte-Geneviève-des-Bois, où reposent les grandes personnalités de la culture : l’écrivain Ivan Bounine, le danseur Rudolf Noureev, le cinéaste Andreï Tarkovski…
« Notre maison de retraite a hébergé de nombreuses personnes très connues aujourd’hui : les Narychkine, les Koltchak, et le professeur de russe du président Chirac », énumère Nicolas de Boishue.
Actuellement, le directeur et son équipe ont le projet d’ouvrir une Maison russe dans une ville de Russie. « Nous ne savons pas encore dans laquelle, mais ça reste un projet très important pour nous », confie-t-il.
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