« Les Russes sont ainsi faits. Où qu’ils soient dans le monde, ils prennent racine et trouvent une maison. C’est parce que nous avons une richesse intérieure, grâce à notre éducation et aux principes que nous apprenons », disait Anna Marly. Et sa vie est la meilleure preuve de cet adage.
Anna Betoulinskaïa (son véritable nom de famille, elle n’a pris le pseudonyme de Marly qu’une fois en France) a quitté la Russie alors qu’elle n’était qu’un nourrisson. Elle était née en 1917, peu de temps avant les évènements fatidiques d’octobre.
Son père, un célèbre juriste de Petrograd, avait été fusillé par les bolcheviks : on le soupçonnait de complot contre-révolutionnaire.
Sa mère et sa nourrice, déguisées en paysannes, habillèrent Anna et sa sœur le plus chaudement qu’elles le purent et quittèrent Petrograd sans se retourner. Elles passèrent en Finlande à travers forêts et marécages, puis, de là, gagnèrent la France.
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À Menton, elles survirent comme elles le purent : la petite Anna brossait les tapis, nettoyait les fenêtres, faisait les sols et la vaisselle. Adolescente, elle cousait des chapeaux, cueillait du jasmin pour une parfumerie, gardait des enfants.
Le compositeur Sergueï Prokofiev, qui visitait souvent les Betoulinski nota le talent de la jeune Betoulinskaya et se mit à lui donner des leçons de musique. Un jour, à Noël, sa nourrice offrit une guitare à Anna. Ce cadeau marqua durablement son destin.
Sortie de l’école de ballet de Menton, la jeune Betoulinskaya fut recommandée au studio parisien de la célèbre ballerine russe Mathilde Kshesinskaya. Mais cependant, Anna préférait largement la musique : elle emporta sa guitare dans la capitale et commença à composer ses propres chansons.
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Le nom « Betoulinskaya » étant difficile à prononcer pour les Français, Anna prit un pseudonyme. « Marly » était le premier nom de famille qu’elle vit dans l’annuaire téléphonique de Paris.
Rapidement, la jeune fille fut invitée à jouer dans le célèbre cabaret russe « Shéhérazade ». L’intérieur du restaurant rappelait un palais oriental, les serveurs, habillés comme des montagnards du Caucase, distribuaient vin et brochettes. À la lueur mystique des lampes, portant une longue robe noire, Anna chantait des vieilles romances d’une voix envoûtante. Chaque concert faisait salle comble.
En juin 1940, les chansons se turent, étouffées par le crépitement des fusils et le bruit des canons. Beaucoup d’émigrants russes furent arrêtés dès les premiers jours de l’occupation. Avec son mari, le Hollandais Van Doorn, Anna partit pour Londres. Elle y travailla dans une cantine, soignait les blessés dans les hôpitaux, chantait pour les habitants de Londres, les soldats et les marins. Durant cette époque difficile, elle dut surmonter la perte de son enfant et le divorce avec Van Doorn.
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1941. Anna lit un journal britannique, dont la première page évoque des combats sanglants pour Smolensk. Le rythme d’une nouvelle chanson semble être soufflé à Anna par une puissance supérieure : elle compose un chant sur les intrépides vengeurs populaires.
Anna interprète pour la première fois le Chant des Partisans en russe à la BBC. Un jour, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, l’un des chefs de la résistance, l’entendit. Ce fut le déclic : cette chanson devait devenir l’hymne de la France combattante, soutenir le moral de la nation. À sa demande, l’écrivain Maurice Druon et le journaliste Joseph Kessel traduisirent la chanson en français.
C’est ainsi que naquirent les paroles que toute la France allait bientôt découvrir : « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu'on enchaîne ? ». L’air de la chanson devint un signe de ralliement pour les résistants français. Les maquisards savaient que si quelqu’un sifflotait le Chant des Partisans, c’était un des leurs.
En mai 1945 dans le Paris libéré, la foule en délire envahissant les Champs-Elysées entonnait le Chant des Partisans. Assise sur le toit d’une voiture, Marly était la chef d’orchestre…
L’émigrante russe devint incroyablement populaire. Sa photographie était dans tous les journaux et magazines. Elle reçut les félicitations de Charles de Gaulle, qui reconnaissait son rôle important dans la victoire. Anna Marly-Betoulinskaya devint l’une des rares femmes décorées de l’Ordre de la Légion d’Honneur.
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En l’honneur de la victoire, un concert grandiose fut donné au Gaumont Palace. Anna monta sur scène avec Edith Piaf elle-même. Marly chanta Plaine, ma plaine, Katioucha et, bien sûr, le célèbre Chant des Partisans. Dans sa loge, Edith Piaf entendit Anna chanter doucement sa Chanson à trois temps. « C’est de vous ? Vous êtes une grande poète ! Je prends votre chanson ! », déclara Piaf.
Après la guerre, Marly parcourut la moitié du monde, sa guitare à la main. Elle rencontra son destin au Brésil : Youri Smirnov, un ingénieur russe émigré. Il se trouva qu’ils étaient tous deux natifs de Petrograd, dans la rue Shpalernaya, et que leurs nourrices les promenaient tous deux dans le jardin Tavrichesky…
Anna rêvait de voir la Russie, mais ce n’est que plus de dix ans plus tard, durant le « dégel », qu’elle visita Moscou et Leningrad.
Anna Marly vécut les dernières années de sa vie avec son mari aux Etats-Unis et s’éteignit le 15 février 2006 dans la ville de Palmer, en Alaska.
… le télégramme de félicitations de Charles de Gaulle que Marly conserva soigneusement jusqu’à la fin de sa vie portait ces mots : « Elle fit de son talent une arme pour la France ».
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