C’est avec ces mots, incarnant la capitale et portant sur ses épaules les espoirs du pays tout entier, que le présentateur aux fameuses lunettes débutait calmement ses bulletins radiophoniques réguliers, jusqu’à la fin de la guerre et la défaite d’Hitler.
A travers tout le pays, les Russes ordinaires comme les soldats l’écoutait pour apprendre quelles villes étaient tombées, quelles régions avaient été reconquises et savoir si des raids aériens imminents étaient prévus.
Nina Trifonova, née à Orenbourg dans l’Oural du Sud, se souvient de l’impact que pouvait avoir les émissions de Lévitan.
Elle explique que : « A cette époque, on ne pouvait pas se payer une radio, mais il y avait des haut-parleurs installés dans certaines rues et les gens se rassemblaient autour d’eux à une heure bien précise pour écouter les nouvelles du front ».
Cette expérience collective rapprochait les gens les uns des autres et Trifonova la décrit comme « faire partie d’une seule grande famille, avec Iouri Lévitan à sa tête ». Cela malgré les tristes nouvelles qu’il annonçait souvent, en particulier au cours des premiers jours de la guerre.
Trifonova l’explique par les particularités de sa voix, qu’elle décrit comme « claire et veloutée, avec une capacité à nous apporter de l’espoir quel que soit le contenu des nouvelles ». Elle se souvient avec émotion à quel point les auditeurs de Lévitan étaient inspirés et de l’impact de tout cela sur les habitants de sa ville.
De tels souvenirs, partagés par tous les Russes de la génération de Trifonova, montre à quel point et avec quelle rapidité Lévitan est devenu une icône. C’est l’histoire d’un outsider déterminé soudainement jeté en pleine lumière et qui a su saisir cette occasion.
De fils de tailleur à voix de toute une génération, le fils d’un tailleur de Vladimir, une ville située à 190km à l’Est de Moscou, Lévitan était dès son plus jeune âge désireux d’échapper à ses origines modestes.
Souhaitant à l’origine devenir acteur, il s’installe dans la capitale, où, ayant échoué dans cette première entreprise, il pose alors sa candidature pour travailler à la radio.
On lui répondit tout d’abord que son accent « provincial » de Vladimir était trop prononcé, il travailla alors pendant des heures et des heures pour parfaire la prononciation Moscovite.
Ensuite, au cours de sa toute première émission : une lecture nocturne d’un article de la Pravda, il se trouva que Joseph Staline, dirigeant de l’Union soviétique, était justement à l’écoute.
Le dirigeant autoritaire déclara alors que cette personne devra lire le lendemain le compte-rendu du congrès du parti Communiste et Lévitan était déjà en route vers la gloire. Il n’avait alors que 19 ans.
Hitler, passé maître en matière de manipulation des médias et de la propagande, pris conscience de l’influence énorme de Lévitan sur le moral et le désigna alors « Ennemi Public n°1 ».
La prime le concernant s’élevait ainsi à 250 000 Reichsmarks, soit environ 1,3 million de dollars actuels. Le Maréchal Rokossovski a déclaré que sa voix équivalait à elle seule à une division entière.
Lévitan disposait de son propre détachement de sécurité et comme cela a été révélé seulement un quart de siècle après la guerre, le centre radio soviétique avait été déplacé dans les montagnes de l’Oural pour des raisons de sécurité.
Ironiquement, Lévitan avait atteint un tel degré de célébrité du fait de son rôle pendant la guerre qu’il connut par la suite des périodes durant lesquelles il fut difficile pour lui de travailler à la radio : les hauts responsables soviétiques estimaient que sa voix était trop associée à la guerre.
Ses apparitions furent donc limitées aux événements majeurs de l’Union soviétique, par exemple l’annonce du premier homme dans l’espace ou la mort de Staline.
La plupart de ses revenus provenait de la réalisation de voix off pour des documentaires, de discours aux vétérans ou de cours donnés à des étudiants. Au cours des dernières années de sa vie, on a demandé à Lévitan de quels événements il se souvenait le plus intensément et il a alors immédiatement répondu qu’il s’agissait de l’annonce du vol dans l’espace de Y. Gagarine.
Il décrivit comment les larmes mouillaient ses yeux, c’était « juste comme le 9 mai [1945], lorsque j’ai lu l’acte de capitulation de l’Allemagne Hitlérienne ».
L’homme dont la voix résolue et déterminée incarnait la force et la puissance de l’Union soviétique dissimulait donc un côté très humain. Deux jours après sa mort, le New York Times se rappelait de ses « intonations sonores distinctives ». Trente ans après sa mort à l’âge de 69 ans, l’homme et sa voix sont toujours vénérés.
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