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Oh, ces prénoms ! Combien peuvent-ils en raconter sur l'histoire de nos familles ! Un jour, Guillaume Protsenko, réalisateur français de 36 ans aux racines russes résidant et tournant des films en Russie, a découvert qu'il en avait un deuxième.
« Une amie [russe] qui souhaitait mettre un cierge à l'église et prier pour moi, me demandait souvent : "Quel nom je dois mettre dans mes prières ? On n’a pas de Saint Guillaume ! Alors Gueorgui ou Gregory ? », raconte-t-il. Ne sachant que répondre, il décide alors de consulter ses parents qui l’avaient baptisé dès son enfance dans deux églises, l’une catholique, l’autre orthodoxe, pour satisfaire tant la partie française de la famille que la partie russe.
Quelle ne fut alors pas sa surprise lorsqu’ils lui ont annoncé que lors de ce deuxième baptême, il avait reçu le prénom, non pas de Gueorgui, ni même de Guillaume mais celui de son grand-père paternel, Nikolaï. « Mon amie a enfin pu être sûre que ses prières allaient à la bonne personne, et moi, j'étais bon pour un petit choc existentiel », résume-t-il en riant.
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Contrairement à Guillaume, qui vit en Russie depuis plus de 10 ans, son grand-père Nikolaï a, quant à lui, dû quitter sa patrie alors qu'il était encore enfant. Fils du cosaque et officier tsariste Ivan Protsenko, emprisonné par les bolcheviks, Nikolaï a en effet franchi la frontière de l'Empire russe dans les bras de ses parents à l'âge de trois ans, en 1928. C’est l'arrière-grand-mère de Guillaume, Maria, qui a dû vendre à la hâte tous les biens de sa famille au Kazakhstan afin de soudoyer les gardes de la prison et fuir à l’étranger avec son mari et leur fils. « Leur dangereux périple pour rejoindre l'Iran est sans doute la partie la plus éprouvante de leur vie car ils n'en ont pratiquement jamais parlé », affirme Guillaume.
Ivan Protsenko
Archives personnellesBien que l’histoire de Ivan et Maria racontée par le jeune réalisateur français ressemble à un scénario de film, elle n’en demeure pas moins réelle et elle ne saurait nous laisser indifférent. Après s’être retrouvé hors des frontières du pays des tsars, le fringant cosaque rejoindra le 2ème bataillon de la Légion étrangère de l'armée française et s’installera avec sa famille à Beyrouth, au Liban. Il a alors participé à de grandes batailles durant la Seconde Guerre mondiale, dont celle de Bir Hakeim, en Libye, où il sera blessé et ensuite décoré par le général de Gaulle en personne.
Maria Protsenko
Archives personnellesL'arrière-grand-mère de Guillaume, dont les actions décisives ont jadis sauvé sa famille dans les moments difficiles, a été infirmière, notamment en soignant les soldats anglais blessés à Damour, au sud de Beyrouth. Notre conteur se souvient de la première fois où il l'a rencontrée lors d'un voyage dans la famille de son père au Liban : « J'ai vu une vieille dame habillée de blanc dans le couloir sombre de l'appartement familial, décrit-il. Elle parlait dans une langue qui m'était alors incompréhensible et mon père m'a demandé : "Tu sais qui est cette dame?". Je ne savais pas. "C'est une princesse russe", me dit-il. J'en suis encore convaincu aujourd'hui ».
Mais qu'est-ce qui a donc poussé Guillaume-Nikolaï, qui a grandi près de Paris et qui se destinait à être économiste, à s'installer en Russie et à y faire carrière comme réalisateur ? Le Français est venu pour la première fois dans sa patrie ancestrale russe à la fin des années 90. Son père, employé d'une grande entreprise américaine, avait obtenu un poste en Russie, mais quelques mois plus tard, son contrat fut écourté en raison de la crise économique. Pour Guillaume, cependant, cette période est restée dans sa mémoire comme de véritables « vacances russes ».
Plus tard, après avoir fait deux années de prépa économique, le jeune homme de vingt ans, passionné de cinéma et parlant un peu russe, a décidé de retourner dans ce vaste et fascinant pays qu’est la Russie pour y poursuivre son rêve. « Ni ma famille, ni moi ne connaissions rien au monde du cinéma, mais mon père a entendu parler d'une bonne école à Moscou... Il m'a alors emmené rencontrer le directeur de l'école de cinéma française, la Fémis. À la question : "Vous pensez que je devrais envoyer mon fils faire ses études de cinéma au VGIK [Institut national de la cinématographie, à Moscou]?" celui-ci a répondu que c'était sans aucun doute une bonne idée », se rappelle Guillaume à propos de cette rencontre qui fut à l’origine de la décision la plus importante de sa vie.
Depuis la fin de ses études en 2009, il a co-produit de nombreux documentaires sur la Russie dans le cadre du projet Cinétrain dont il est à l'origine avec un groupe d’amis du VGIK. « Nous emmenions des équipes de tournage composées de jeunes professionnels du cinéma du monde entier, en train, à travers toute la Russie pour réaliser des documentaires courts à la recherche de l'âme russe », explique Guillaume, plaisantant qu’il n’est pas certain d’avoir trouvé cette dernière, réputée insaisissable. Les films ont eu un grand succès auprès du public et ont remporté des prix dans les festivals internationaux les plus prestigieux.
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De plus, notre héros a réalisé un long métrage, Wake me up en 2017, et a créé une plateforme franco-russe de services au productions cinématographiques visant à aider les équipes françaises à tourner en Russie. « Au fil des années de travail dans l’industrie cinématographique locale, j'ai accumulé beaucoup d'expérience et je pense pouvoir être utile à ceux qui viennent d'arriver dans ce pays plein de contrastes », souligne Guillaume.
Entouré de sa femme Maria, ses chiens Notchka et Kecha et son chat nommé Kotik, Guillaume-Nikolaï semble être comblé par sa vie moscovite. Il aime, par exemple, le climat local, avec ses hivers froids et enneigés et ses étés chauds et secs. Contrairement aux stéréotypes populaires sur le terrible froid, s’il souffre ici du temps, c'est uniquement en mars et en novembre, affirme Guillaume, quand tout autour devient gris, boueux et inexpressif.
Une tradition russe que son père lui a transmise est la cueillette des champignons. Le réalisateur français est prêt à arpenter pendant des heures dans les forêts de la région de Moscou, pour scruter l'herbe en quête de leurs chapeaux. « Quand j'étais enfant, nous passions des journées entières en forêt à la cueillette des cèpes bolets et autres girolles, très appréciés des Russes. Et j'aime à imaginer mon père enfant tout comme je l'ai eté, faisant de même avec son papa Nikolai, mon grand-père ».
Vivant en Russie, le Français trouve également du plaisir à communiquer avec les Russes. « Ils me semblent moins hypocrites qu'ailleurs, explique-t-il. On n’hésite moins à vous dire qu'on vous aime ou qu'on ne vous aime pas ». Ce à quoi il ne s'est cependant jamais habitué, c'est la façon de communiquer qui doit parfois être adoptée au niveau administratif. « On se retrouve parfois dans des situations où l’on est obligé de mentir un peu à quelqu'un qui sait qu'on lui ment pour obtenir ce qu'on veut. C'est très désagréable », grimace notre interlocuteur.
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Néanmoins, Guillaume est prêt à tout pardonner pour le sentiment de liberté que procure les voyages au gré des chemins de fer russes. « En traversant le plus grand pays du monde en train, j'ai le sentiment que de vraies aventures m'attendent, que tout est possible ici », s’enthousiasme-t-il.
Lorsqu'on lui demande quel rôle son origine russe a joué dans sa vie, Guillaume sourit mystérieusement. « J'imagine que mes racines russes sont assez importantes puisque je vis ici maintenant. Mais c'est une question à laquelle j'ai du mal à répondre, admet-il. Je ne suis même plus sûr que ce ne sont que des origines. Après tant d'années ici, je pense que je deviens un peu plus russe chaque jour ».
Dans cet autre article, découvrez le témoignage d’un autre Français parti sur les traces de ces ancêtres et tombé amoureux de Saint-Pétersbourg.
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