En empruntant la première allée à droite, qui longe le mur du cimetière de la ville du Bourget, on découvre au n°13 de la section S une tombe entourée d’une grille rouillée avec l'inscription suivante : « Au Capitaine Aviateur d’Arguéeff tué le 30 Octobre 1922 ». La modeste pierre tombale usée, rongée par le temps, a perdu sa croix, qui est juste posée contre la pierre. La dégradation de la tombe et l’absence d'une famille qui pourrait l’entretenir risquent de faire disparaître à tout jamais la trace de cet homme, dont le nom est gravé sur une plaque de marbre au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget au côté des autres as de la Première Guerre mondiale, français et étrangers, qui ont combattu pour la France.
Paul d’Arguéeff
Domaine public / Russia BeyondOffusqué par une telle découverte, Sergueï Dybov, président de l’association Mémoire Russe, créée en 2016 dans le but de préserver des monuments militaires russes et soviétiques en France, a obtenu de la Mairie du Bourget le droit restaurer la partie supérieure de la tombe de ce héros franco-russe, un des pionniers des combats aériens, Paul d’Arguéeff.
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Sergueï Dybov, un immigré russe installé depuis quelques années avec sa famille en France, est ingénieur-métallurgiste de formation et passionné d’histoire militaire. Il a déjà créé ou assisté d’autres projets de réhabilitation des sépultures, dédiés aussi bien à des personnages historiques d’envergure, comme l’amiral russe, héros de la guerre de l'Empire russe de 1812 avec Napoléon, Pavel Tchitchagov, enterré au cimetière de la ville de Sceaux, qu’aux soldats soviétiques inconnus tombés pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale et enterrés dans des carrés militaires un peu partout dans l’Hexagone.
Membre du Mémorial Normandie-Niemen, Sergueï Dybov a appris le triste destin de la tombe de Paul d’Arguéeff de ses collègues français. Constatant l'indifférence généralisée concernant la sauvegarde de la mémoire de ce héros hors de commun, l’historien a décidé de lancer un appel aux dons afin de collecter une somme suffisante pour restaurer la tombe et mettre en valeur les mérites de l’aviateur : le projet prévoit une inscription en russe et en français et la représentation sur le monument des décorations obtenues par l’as en Russie et en France.
Pavel Argueïev (connu en France comme Paul d'Arguéeff ou encore « l'aigle de Crimée ») est né à Yalta (Crimée) en mars 1887. Après ses études à l'école militaire d'Odessa en 1907-1909, il rejoint l'Armée impériale russe au rang de sergent dans le 184e régiment d'infanterie de réserve à Varsovie. Il devient lieutenant en 1912 et passe par le 29e régiment d'infanterie Tchernigov, où il obtient le grade de lieutenant-colonel. La même année, en raison de son refus de sanctionner un soldat, Argueïev a été condamné par un tribunal militaire à un mois de détention et envoyé à la réserve. Il décide alors de partir vivre en France.
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Quand la Première Guerre mondiale éclate en 1914, conformément à un accord intergouvernemental, Pavel rejoint avec quelques autres officiers russes la Légion étrangère sous le nom de Paul d'Arguéeff. Envoyé au front en tant que lieutenant du 7e régiment d'infanterie, il commande un mois et demi plus tard une compagnie de 131 régiments d'infanterie lors de la Première bataille de la Marne comme capitaine détaché. Le 23 septembre, il est blessé à la jambe, mais continue le combat et est promu capitaine le 5 novembre 1914. Paul d'Arguéeff retourne au front et reçoit la Croix de guerre. Il est encore blessé le 8 décembre 1914, puis à la tête le 17 avril 1915, et par éclats d'obus en février et mars 1915. Le 2 mai 1915, il est fait chevalier de la Légion d'honneur, mais suite à ses blessures, il est jugé inapte pour l'infanterie. Il demande alors son transfert dans l'aviation. À cette époque, l’aviation n'en était qu'à ses balbutiements et les exigences médicales concernantles pilotes étaient moins strictes que celles des officiers d'infanterie.
Arguéeff suit sa formation à l'école d'aviation d'Avord. Le 22 juillet 1915, il reçoit le Brevet de pilote militaire et rejoint en janvier l'escadrille de reconnaissance N°48. Un mois plus tard, il retourne en Russie, intègre l’Armée impériale avec le grade de capitaine et rejoint le premier groupe aérien de combat du front de Sud-Ouest, dirigé par le meilleur as russe, Alexandre Kazakov.
Le 10 janvier 1917, Arguéeff a remporté la première victoire contre un Albatros C.V (un biplace d'observation et de bombardement léger allemand), qu’il a abattu malgré son bras droit blessé. Pour cette bataille, Arguéeff a reçu la Croix de Saint Vladimir avec le ruban et les glaives.
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Le 21 avril, Pavel a détruit un autre biplace et a été distingué par le Sabre d’or de Saint-Georges. En mai, le pilote a remporté encore deux victoires et a reçu l’Ordre de Saint Stanislas II classe. Le 8 juin, il est devenu as du pilotage, après avoir détruit un avion autrichien Brandenburg C.1. Pour cette victoire, Arguéeff a reçu l'Ordre de Sainte-Anne de IVème classe et a été nommé commandant du 19ème escadron, ce qui ne l'empêche pas de continuer de participer à des batailles.
Le 20 juin, Pavel a descendu un avion de reconnaissance allemand Rumpler C.1. Cette 6e victoire confirmée fut la derniere en Russie pour ce pilote exceptionnel.
La Révolution d'octobre et l'effondrement du front qui s'en est suivi ont obligé les officiers de l'armée tsariste à faire un choix cornélien. Kazakov a rejoint la Garde blanche. Grâce au débarquement anglais à Arkhangelsk, Arguéeff est reparti en France pour continuer la guerre contre l'Allemagne. À partir de mai 1918, il est affecté dans l’escadrille SPA 124 Jeanne d'Arc.
Très vite, le commandement français a noté le courage et l'endurance hors du commun du pilote russe, qui a remporté sa première victoire sur le front de l’Ouest le 1er juin 1918 en détruisant, malgré une blessure, un avion allemand LVG C. En juillet, Arguéeff a ajouté à son palmarès trois autres victoires et est devenu le pilote le plus efficace de son escadrille.
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En septembre, les Allemands ont lancé une offensive qualifiée de « dernière et décisive » et la SPA-124 a de nouveau entamé de violents combats. En l'espace de deux jours, Paul d’Arguéeff a abattu trois avions ennemis, dont un appareil des plus récents, le meilleur avion de chasse allemand Fokker D.VII. Le pilote russe l’a détruit le 27 septembre en attaquant seul huit avions allemands.
Le 5 octobre, Paul atteint encore deux avions (bien qu'il n'ait pu prouver la destruction de l'un d'entre eux, cette victoire ayant été enregistrée comme non confirmée). La dernière victoire intervient le 30 octobre 1918 avec la destruction d'un biplace allemand. C’est également la dernière, la 26e victoire, de son escadrille. En cinq mois de combats en France, Paul d’Arguéeff remporte neuf victoires et reçoit sa deuxième Légion d'Honneur (le 12 décembre 1918).
Avec un total de 15 avions ennemis abattus en Russie et en France (plus deux victoires non homologuées), Pavel Argueïev est le troisième as russe le plus efficace de la Première Guerre mondiale après Alexandre Kazakov et Vassili Yanchenko. Cependant, en URSS, le nom d' Argueïev était pratiquement inconnu.
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Après la guerre, Paul d’Arguéeff a vécu au Bourget et a travaillé pour la compagnie aérienne franco-roumaine. Le 30 octobre 1922, alors qu’il transportait une cargaison de courrier de Prague à Varsovie, il est mort dans un accident d'avion dans les Tatras tchèques, s'écrasant dans un épais brouillard contre les rochers.
Tombe de Paul d’Arguéeff
Maria TchobanovAprès les funérailles en la cathédrale Alexandre Nevsky à Paris, il a été enterré au cimetière du Bourget. Les journaux de l’époque rapportent l’organisation d’une campagne de collecte de fonds de la communauté russe pour la veuve du pilote.
Aujourd’hui encore, perpétuer la mémoire de ce grand pilote nécessite des moyens, mais Sergueï Dybov ne désespère pas les rassembler, même si la tâche n’est pas facile. Les Russes vivant en France et en Russie ont déjà collecté près des deux tiers de la somme nécessaire pour l'érection cette année, marquant le centenaire de la fin de la Grande Guerre, d'une nouvelle stèle avec des inscriptions en russe et en français, un portrait du pilote et la mention de ses décorations tant méritées.
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