Créé par une communauté d’artistes russes exilés en France, la société de production Albatros, installée à Montreuil de 1922 à 1938, a été à l’origine de plus d’une cinquantaine de films dont certains figurent parmi les chefs-d’œuvre du cinéma muet européen (Kean d’Alexandre Volkoff, Lion des Mogols de Jean Epstein, Michel Strogoff de Viktor Tourjansky, Le Brasier ardent d’Ivan Mosjoukine...).
Ce fut un véritable empire cinématographique, sans équivalent dans l’histoire du 7ème art français. Le documentaire d’Alexandre Moix fait revivre cette aventure presque totalement oubliée et rend hommage à ces hommes qui ont débarqué en France en ayant tout laissé derrière eux pour apporter un nouveau souffle au cinéma français.
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Dans la nuit du 8 février 1920 à Yalta, au sud de la Russie, un groupe de cinéastes russes embarque clandestinement sur un cargo en partance pour la France. Ce sont des « Russes blancs » qui fuient la terreur bolchévique. Ils sont producteurs de cinéma, réalisateurs, acteurs, actrices, scénaristes, caméramans, décorateurs, costumiers. Parmi eux, Joseph Ermoliev, un producteur à peine âgé d’une trentaine d’année, qui décide d’aller tenter sa chance en France et d’emmener son équipe avec lui.
Au cours de cette traversée qui va durer plusieurs semaines et qui les conduira jusqu’à Marseille, les exilés travaillent, élaborent des scénarios et commencent même à tourner un film qu’ils achèveront une fois arrivés en France (Paris en cinq jours de Nicolas Rimsky).
À leur arrivée, ils s’installent à Montreuil près de Paris, dans un studio désaffecté appartenant à la société Pathé. Anticipant la défaite de l’armée « blanche » qui s’opposait aux bolcheviks, Joseph Ermoliev s’était rendu à Paris quelques mois auparavant pour négocier avec Pathé un repli en France et assurer un exil pour lui et tout son personnel. Pathé accepta alors de lui louer un minuscule studio désaffecté situé dans un quartier éloigné de Montreuil.
Le studio de Montreuil est petit, délabré et très mal situé. Mais les Russes ne s’en plaignent pas. Heureux d’avoir trouvé une terre d’accueil, ils s’unissent derrière Joseph Ermoliev et acceptent de repartir de zéro. C’est alors qu’un autre personnage entre en scène : Alexandre Kamenka. Né à Odessa en 1888, il est audacieux, il a le sens des affaires et possède la fibre artistique. Banquier et homme d’affaires qui rêve de théâtre depuis son enfance, Kamenka prend contact avec Ermoliev pour financer sa société. En 1922, Joseph Ermoliev, attiré à ce moment-là par une carrière internationale, quitte le navire et laisse les rênes de l’entreprise à Alexandre Kamenka. C’est ainsi que la société Les Films Albatros voit le jour.
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Chassés de leur pays, privés de leurs attaches, ces hommes et ces femmes russes vont devoir s’affranchir de leur identité d’origine, trouver la force de s’ouvrir à une nouvelle culture, l’embrasser et se faire adopter par un autre pays, la France.
En quelques années, un véritable empire cinématographique est bâti, propulsant au premier rang mondial le cinéma français alors en crise. Les Russes vont très vite apporter une spécificité qui leur est propre et qui n’existe pas encore dans le cinéma français, opérant une véritable révolution : l’art du décor et du costume dans les films. Les spectateurs français sont alors frappés par la qualité de ces nouveautés et en raffolent. Grâce à des décors gigantesques et somptueux, le cinéma devient tout à coup un spectacle féérique, digne des films d’Hollywood.
Entre 1920 et 1929, cette entreprise bouleverse littéralement le cinéma français. Sur les 890 films muets réalisés en France, elle en produisit 43, parmi les plus ambitieux.
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Grâce à Kamenka, Albatros devient une référence qui s’exporte. Il joue de ses contacts avec les autres communautés russes en exil, réparties un peu partout, et met au point des systèmes de co-productions européennes et de distributions internationales. Allemagne, Espagne, Suède, Iran, Mexique, Egypte, Pérou, entrent dans le capital des films et les diffusent dans le monde entier.
Ivan Mosjoukine
Photos d'archives, utilisées dans le film Albatros, l'aventure cinématographique des Russes blancs à ParisEn 1930, le cinéma parlant fait taire les voix des acteurs stars, comme Ivan Mosjoukine, dont l’accent russe un peu trop fort ne séduit plus le public. L’apparition du cinéma parlant porte un coup fatal aux Studios Albatros : les coûts de production qu’exigent le son sont si élevés que Kamenka ne peut sauver l’entreprise. Les Studios Albatros font faillite et sombrent dans l’oubli en laissant derrière eux un héritage précieux inscrit sur la pellicule.
Pour reconstituer visuellement cette histoire et le contexte de l’époque, le réalisateur du film Albatros, l'aventure cinématographique des Russes blancs à Paris Alexandre Moix utilise des archives audiovisuelles et radiophoniques russes et françaises, les archives INA et Pathé et les archives personnelles, notamment celles de Kamenka et de l’acteur russe Ivan Mosjoukine. Le récit est également soutenu par des extraits de films produits par Albatros, et les objets du « fonds Albatros » conservés à la Cinémathèque française (affiches, revues, objets divers, maquettes de décors, costumes originaux, scénarios originaux, photos, dessins, projets…).
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