Andreï Kolodiajny
Service de presseComment avez-vous été amené à vous consacrer à la gastrobotanique ?
Je suis dans ce domaine depuis plus de dix ans. Cela a commencé de manière spontanée, et même, probablement, par hasard : dès nos plus jeunes années nous allions cueillir des baies d’églantier, des noix, diverses herbes – la riche et abondante nature de la région du sud, où j’ai passé la majeure partie de ma vie, s’y prête bien. Et à un certain moment, lorsque je travaillais déjà dans un restaurant, au cours d’une énième expérimentation j’ai décidé d’ajouter une mousse de serpolet à une autre à la framboise. Cette combinaison a été comme une étincelle, le résultat m’a plu et j’ai continué à travailler dans cette direction.
Par la suite, je me suis plongé dans l’étude de ce sujet, je suis allé à des stages au Noma et au Geranium [restaurants de Copenhague, au Danemark], et aujourd’hui je peux dire que je suis sorti du cadre de la gastrobotanique au sens traditionnel. La gastrobotanique est un terme inventé par le chef espagnol Rodrigo de la Calle sous-entendant la culture de plantes oubliées et de traditions. Nous sommes allés un peu plus loin et avons commencé à nous occuper d’herbes et plantes poussant à l’état sauvage, en avons analysé la saisonnalité. De plus, nous avons ajouté de notre botanique – j’ai un livre Herbes et fleurs comestibles, publié par un institut scientifique dans les années 60. Je m’appuie en partie sur ce genre d’ouvrages.
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Vous savez, ces connaissances se sont à 90% perdues. Bien entendu il y a, dans je ne sais quels villages des grands-mères et grands-pères qui s’adonnent toujours à ces activités et qui vont récolter des herbes. Il y a aussi ceux qui s’intéressent à cela d’un point de vue scientifique, je collabore d’ailleurs avec deux herboristes de l’Institut de recherche scientifique de Moscou. L’idée est qu’il faut ressusciter tout cela. Le roseau par exemple, produit riche en amidon, que nous avons à présent ramené sur les tables, était consommé par nos aïeux au VIIIe siècle, et c’est grâce à lui que l’on a survécu à la famine durant le siège de Léningrad.
Notre pays est immense et les herbes sont partout différentes – à certains endroits elles sont nombreuses, à d’autres elles se font rares. Je découvre sans cesse de nouveaux lieux. J’ai eu une expédition dans l’Altaï et si je dois le comparer au Caucase, que j’ai entièrement étudié ces dernières années, alors vous y trouverez 70% des herbes qui y poussent.
À mon arrivée à la capitale j’ai commencé à étudier les herbes de la région de Moscou, m’éloignant de la ville de 120 kilomètres. La nature russe est très riche et diverse. Je peux en outre dire qu’à Sotchi pousse du safran – je l’ai moi-même cueilli sur Mont Ficht, lorsque j’y ai effectué une expédition. Nous avons même de la truffe, on m’en a apporté.
À mes yeux, les herbes de Nice rappellent Sotchi, tandis que Copenhague ressemble à cet égard à Saint-Pétersbourg selon moi. Aux récentes Saisons gastronomiques de Natalia Marzoïeva à Monaco on a pu me fournir toutes les herbes et fleurs que je demandais. Beaucoup de choses sont similaires, ce qui diffère c’est la saisonnalité. Par exemple au jardin botanique de Monaco il y avait beaucoup d’opuntia, alors qu’à Sotchi ce n’est déjà plus la saison, elle y était en décembre.
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En Russie, comme je l’ai déjà dit, on peut trouver pratiquement tout. Chaque plante et fleur à son intervalle naturel, j’ai un tableau pour cela, que j’ai établi pendant trois ans. Mais il n’est valable que pour le sud. À présent nous réalisons un tableau pour la région centrale [de Russie], nous prenons en compte ce qui pousse, et c’est là que se trouve le point de départ de notre travail.
Nous-mêmes. Environ deux fois par semaine nous allons à la cueillette. Nous faisons une sortie dans la nature, cherchons, cueillons. Il arrive que nous fassions des erreurs, mais nous n’expérimentons jamais sur des invités, nous goûtons et vérifions nous-mêmes.
À Moscou il me reste encore beaucoup à découvrir. Il est probable que nous cultiverons certaines choses nous-mêmes, nous en récolterons d’autres à 80-90 kilomètres ou dans les instituts de recherche.
Les baies assurément. Il est avant tout question de l’airelle rouge et de la canneberge. À Moscou j’ai par exemple fait la connaissance du merisier à grappes, dans le sud cela n’existe pas. Il y a aussi le jus de bouleau et l’aubier – de l’écorce de bouleau ou de sapin. J’en fais de la farine. Alors qu’à Sotchi je faisais de la farine à base de palmier.
Les premiers temps, je n’intégrais pratiquement pas ces plats au menu des restaurants dans lesquels je travaillais, les gens ne comprenaient tout simplement pas. Ce n’est qu’au restaurant Baran-Rapan, à Sotchi, que nous avons effectivement commencé à proposer des éléments de la gastrobotanique, les combinant progressivement avec quelque chose de familier.
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Prenons un plat de base, le bœuf Stroganov. Nous préparions la crème non pas avec de la pomme de terre, mais avec de la bardane et de la pomme de terre. Ensuite nous avons diminué la quantité de pomme de terre et avons ajouté plus de bardane. Et ainsi ils s’y sont peu à peu accoutumés. Nous avons pris l’habitude de déposer des fleurs et plantes sur les assiettes pour faire joli, sans penser au fait que ces végétaux joueront un rôle avec l’aliment principal, avec la courge, la pomme de terre ou avec la viande. Le travail dans cette voie est permanent, je pense qu’à Moscou cela continuera à encore plus grande échelle.
Nous ambitionnons d’ouvrir en mars, et je qualifierais ce restaurant de « ferme au centre de Moscou ». Nous avons notre propre fromagerie, et nous aurons également un grill et des plats gastrobotaniques. D’ailleurs, pour ce qui est des fromages, dans ce domaine ce sont précisément les Français qui sont, selon moi, l’étalon. En France je me suis familiarisé avec les fromages locaux, avec des herbes, et je veux expérimenter dans cette direction-là. J’ai déjà des idées. Ici, j’expérimente aussi beaucoup avec le pain : du pain aux herbes, du pain au levain, du pain à la levure, avec toutes sortes d’ajouts, avec trois-quatre sortes de farine.
Vous savez, le goût est dans tous les cas nouveau, car personne n’utilise les plantes sauvages dans ses plats, et n’importe laquelle de ces plantes et n’importe quelle herbe apporte une nouvelle saveur. Il arrive que nous portions d’anciens plats à un nouvel accord. C’est-à-dire que, pour en revenir à Monaco, au Café de Paris, nous avons servi des forchmaks avec des fleurs. Et cela avait déjà un tout nouveau goût.
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J’ai travaillé avec des gens disposant d’une immense expérience – Marcel Ravin a deux étoiles Michelin – et ils m’ont apporté une nouvelle vision. Ça a été un travail formidable en équipe, et je travaillerais encore avec plaisir avec Ravin.
Pour moi, j’en ai tiré quelque chose au plan organisationnel, ils m’ont aiguillé dans certaines choses, et dans d’autres je ne m’y connais pas moins qu’eux et c’est important d’en prendre conscience. À la fin des Saisons nous avons été récompensés par des diplômes de la main de l’ambassadeur de Russie à Monaco, et ça m’a vraiment fait plaisir.
Je suis infiniment reconnaissant envers Natalia pour ces tournées et l’idée même des Saisons. Elle montre que la Russie cultive de jeunes chefs, que s’y développent de nouvelles voies gastronomiques. Oui, quelque part nous préparons un bœuf Stroganov, un borchtch, ou un diner gastronomique avec de la caille, mais nous ajoutons quelque chose qui nous est propre. Bien sûr il ne faut pas dire cela, mais durant la période soviétique nous avons perdu notre héritage. Et aujourd’hui nous lui redonnons vie, de jeunes gens habiles font leur apparition, et ils cuisinent effectivement de manière délicieuse et intéressante.
Propos recueillis par Flora Moussa
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