« En France, si vous voulez démarrer une ferme, vous avez une certaine logistique qui existe, alors qu’en Russie on démarre de zéro et on doit réfléchir à toute l’édition », indique Fréderic Piston d’Eaubonne, qui a lancé en février dernier, avec son partenaire Philippe Nyssen, une production de fromages français à Obninsk, une ville de la région de Kalouga (près de 85km de Moscou).
Avant l’embargo agroalimentaire mis en place en août 2014, la Russie importait de l’étranger près de 400 000 tonnes de fromages par an, dont quelques 10 000 tonnes de fromages d’exception en provenance de France, la production locale ne couvrant que la moitié de la demande. Avec une consommation affichant une croissance de 10 à 15% par an, ce marché avait de beaux jours devant lui. Les contre-sanctions russes, qui ont conduit à la disparition des fromages étrangers – les plus demandés par les consommateurs – des étalages de supermarchés, ont poussé de nombreux entrepreneurs à se lancer à l'aventure dans la production locale de mozzarella, de camembert et de roquefort.
C’est justement à la fin de l'été 2014 que Fréderic Piston d’Eaubonne et Philippe Nyssen ont, eux aussi, eu l’idée de monter une petite production fromagère en Russie. Et si aujourd'hui au sein de leur exploitation à Obninsk ils produisent quotidiennement quelque 40–50 kilogrammes de fromages absolument remarquables, deux ans et demi ont séparé la naissance de leur idée de sa mise en place.
C’est sur la région de Kalouga que les entrepreneurs ont jeté leur dévolu pour fonder leur exploitation. Une décision avant tout motivée par le fait que l’administration locale offre un solide soutien aux investisseurs (la région a d’ailleurs attiré plusieurs entreprises françaises telles que L’Oréal, PSA, Renault Trucks, Lafarge et Total). D’autre part, l’emplacement a joué un rôle considérable, plusieurs fermes laitières se trouvant à proximité et Obninsk se situant aux portes de la mégapole moscovite, un marché de 30 millions de consommateurs, soit près de la moitié de la population de l’Hexagone.
Leur idée initiale était d’acquérir une parcelle d’un hectare pour y établir une petite production artisanale, mais ils se sont progressivement retrouvés avec quatre hectares de terrains industriels et 392 hectares de terres agricoles destinées à l’implantation d’une ferme de chèvres. Si les conditions d’achat et de location étaient avantageuses, les démarches administratives ont pris plus de temps que prévu, et ce en dépit du soutien de l’administration locale qui a facilité la procédure d’achat des terrains. Ce n’est alors que vers octobre-novembre 2016 qu’ils ont obtenu tous les papiers.
Dans les projets figure l’idée d’y fonder un site avec plusieurs petites usines. « Chaque type de fromage aura son bâtiment indépendant et sa production manuelle de 10 000 litres de lait par jour », explique Fréderic Piston d’Eaubonne.
Toutefois, le retard a eu un impact sur le financement du projet : plusieurs banques et investisseurs ont fait marche arrière. « On est allés voir l’administration de la région de Kalouga pour leur expliquer que malgré toute leur aide ils nous avaient créé une situation un peu délicate car on était bloqués financièrement suite au retard. Leur réponse fut : +Pas de problème on va vous trouver un emplacement+. Effectivement, ils nous ont trouvé un emplacement provisoire sur Obninsk et on a pu commencer la production ».
Après quatre mois d’essais, la production artisanale placée sous l’enseigne « Grand Laitier » donne entre 40 et 50 kilogrammes de fromages par jour, un chiffre que nos deux entrepreneurs comptent bien passer à 450, capacité prévue à terme pour l’exploitation d’Obninsk. Il s’agit pour le moment de quatre variétés, des analogues du Saint-Marcellin, du crottin, de la brique française et du Fontainebleau, qui ont d'ailleurs déjà reçu la dénomination de meilleurs produits alimentaires de Kalouga, grâce à leur qualité exceptionnelle constatée lors de la certification.
Toutefois, obtenir les caractéristiques naturelles, la qualité et surtout le goût recherchés n’a point été facile. Comme le pointe Fréderic Piston d’Eaubonne, il a fallu recréer un milieu artificiel qui soit comparable au climat en France.
Ceux qui produisent le crottin fermier en France ont toutes les conditions nécessaires : « des pièces où les champignons poussent naturellement et où l’air est naturel, alors que nous sommes dans une chambre froide qu’il a fallu adapter et dans laquelle nous avons dû apporter les champignons nous-mêmes », explique-t-il.
Un autre élément indispensable est le lait de bonne qualité, garantie d’un goût qui manque généralement aux fromages produits en Russie. Pour cela, « Grand Laitier » collabore avec un fermier qui travaille à la française et dont les vaches, nourries correctement, ne sont pas sur-stimulées.
« Ce qui m’a toujours passionné en Russie, c’est que si vous lancez un projet vous devez travailler en verticale : pour avoir du bon lait vous devez expliquer au fermier comment nourrir ses vaches, l’aider à trouver des compléments de fourrage, prendre en considération les saisons », indique l’entrepreneur.
Pour le moment, les produits « Grand Laitier » sont présents sur quatre ou cinq marchés et dans autant d’épiceries. De l’aveu de M. Piston d’Eaubonne, l’entreprise ne cherche pas à courir après la marge, mais veut vendre ses produits à des prix abordables pour tout le monde. Il regarde plus loin : les sanctions finiront par tomber et les importations reprendront. Confiant, l'entrepreneur a la certitude que les produits « Grand Laitier » resteront alors moins chers que les fromages de qualité équivalente produits en France.
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