Pourquoi siloviki, bespredel ou d’autres manquent aujourd’hui à la langue française.
Varvara GrankovaLa translittération de ce mot apparait progressivement dans les autres langues : siloviki (du russe « sila », la force). Il est entré dans le dictionnaire actif de la langue russe il y a environ dix ans, lorsque les experts politiques ont commencé à s’intéresser à la lutte de plus en plus importante entre les différents groupuscules des sphères du pouvoir.
On estime que les « silovikis », c'est à dire les dirigeants influents des ministères liés au maintien de la sécurité intérieure et intérieure (armée, police), s’opposent dans la définition de l’agenda politique avec ceux qu’on nomme les « libéraux ». Les premiers invoquent la prévalence des intérêts du gouvernement (sécurité, lutte contre le crime, souveraineté), tandis que les seconds mettent l'accent sur le développement économique et l'élargissement des droits des citoyens.
Cette opposition n'est pas un phénomène propre à la Russie : il concerne de nombreux gouvernements à différents degrés. Dans les pays à la tradition démocratique fragile, les dirigeants des structures de force (armée, police) sont d’ailleurs souvent à l’origine des révolutions.
Néanmoins, on peut constater que le terme général « siloviki » définissant cette couche intermédiaire du pouvoir provient justement de la langue russe.
Ce terme ironique et méprisant (équivalent français : pelle à poussière, le terme russe), renvoie aux pages noires de l'époque de l'URSS (le mot « sovok » se présente comme une abréviation de l'adjectif « soviétique »), qui se manifestent encore aujourd’hui dans différentes sphères de la vie quotidienne.
Il peut être utilisé de deux façons : soit pour désigner le pays (par exemple, vivre dans un « sovok »), ou bien pour caractériser une personne (par exemple, c’est un irrémédiable « sovok »). Une personne-sovok est un être inerte, passif, sans initiative, dépendant entièrement du gouvernement et s’approvisionnant de ce qu’on lui donne, c’est à dire se contenant de très peu. Une époque de sovok est une période terne, mélancolique, stagnante (ce n'est pas un hasard si les vingt dernières années de l'URSS sont appelées « l’époque de la stagnation »).
Le sovok était caractérisé par une atmosphère de mensonge et d’hypocrisie, lorsque la propagande officielle était en totale déconnexion avec la réalité. Les citoyens du sovok devaient s'acquitter d'un certain nombre de rituels afin de ne pas s'exposer à des sanctions sociales (comme participer aux élections à candidat unique d’un député soi-disant « populaire ») et devaient approuver d’une façon ou d’une autre tous les actes du pouvoir et ne pas se plaindre excessivement de leur vie misérable.
Ce mot est entré dans le langage des jeunes dans les années 1980 afin de nommer une rencontre de groupe à laquelle on pouvait venir librement pour discuter entre individus partageant les mêmes centres d’intérêt ou le même mode de vie.
Ce mot provient du verbe « tassovat », qui signifie « battre les cartes », impliquant le fait que durant une toussovka on peut entrer en contact avec de nombreuses différentes personnes (notamment des inconnus) parfois de façon fortuite (par exemple, une toussovka dans une discothèque).
Le sens de ce mot s'est ensuite élargi aux réseaux sociaux, dépassant le cadre strict de la vie réelle, pour désigner un cercle social regroupé sous un quelconque indice, professionnel ou idéologique. Et cette acception est devenu avec le temps le sens principal du mot toussovka.
Dans les milieux créatifs, une idée répandue veut que la clé du succès d'un auteur réside notamment dans l'appartenance à une des toussovkas influentes, par exemple, en littérature ou en art.
Les toussovkas peuvent se nommer en fonction des types de courants politiques : par exemple la « toussovka libérale » s’opposera forcément à la « toussovka patriotique ».
Ce mot se retrouve le plus souvent dans l'expression « vivre d'après les poniatia ». Le terme signifiant à la base « concept » est apparu dans le milieu criminel et sous-entend une sorte un code de loi alternatif.
Les criminels ayant nié ou violé les lois de l'État respectent entre eux un code de conduite assez strict. Les « poniatia » constituent une forme d'éthique basée sur un sens particulier de l’équité et le respect mutuel (par exemple, il est formellement interdit de mentir ou d’offenser un des « siens »).
Il est important de respecter les « poniatia » uniquement au sein sa communauté : le monde criminel est un système social très fermé.
La forte hausse de la criminalité dans les années 1990 a élargi le champ d'utilisation du lexique criminel, qui portait jusqu’alors un caractère marginal. L’expression « vivre d'après les poniatia » est sortie du cadre de son groupe social d'origine et a adopté le sens de « vivre selon des lois tacites, mais respectées par tous, qui autorisent la violation des règles de l’État si cela ne cause aucun mal à sa communauté ».
Le sens de ce terme se rapproche se situe quelque part entre « anarchie » et « arbitraire ». Sa particularité réside cependant dans le fait qu'il désigne le refus d’exécuter quelque règle que ce soit, qu'elle soit juridique ou informelle (ce que respectent pourtant les « extrémistes »).
Ce mot est également apparu dans les milieux criminels et fut tout d’abord utilisé pour décrire la situation dans les prisons et les camps, le besprediel pouvant aussi bien concerner les prisonniers que les employés de l’administration pénitentiaire.
Dans les années 1990, ce terme « criminel » est, tout comme « poniatya », entré dans le langage courant. Par exemple, les agissements des fonctionnaires corrompus, qui utilisent leur capacité à contrôler le pouvoir dans leur intérêt au détriment de l’intérêt du peuple, peuvent être qualifiés de « fonctionnaires du besprediel ».
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