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Il y a une scène remarquable dans le film emblématique soviétique de 1963 Je m’balade dans Moscou, où un jeune écrivain en herbe de Sibérie se lamente auprès du personnage joué par Nikita Mikhalkov sur la façon dont il lutte pour maîtriser la langue anglaise. « J’ai étudié ça à l’école pendant de nombreuses années, mais je ne comprends toujours pas un traitre mot d’anglais », gémit Volodia Ermakov. Dans une autre scène, un serveur d'un café du centre-ville de Moscou commence sa routine matinale avec un cours d'anglais joué sur un tourne-disque.
Un groupe d'étudiants de Moscou en 1958
Dmitri Kozlov/SputnikLes deux épisodes reflètent une tendance culturelle réelle. Au début des années 1960, pendant le dégel, l'apprentissage des langues est devenu un élément central de la politique étrangère de l'URSS. Les choses ont démarré de manière prometteuse avec la publication d’un décret spécial du Conseil des ministres. Il s’intitulait « Pour l’amélioration de l’apprentissage des langues étrangères ». Selon le document, l'Union soviétique étendait et renforçait ses liens internationaux avec le monde. Par conséquent, une certaine connaissance des langues étrangères par des spécialistes dans divers domaines, ainsi que par les citoyens ordinaires, serait bénéfique, y lisait-on.
Les écoles offrant une formation intensive en anglais ont commencé à se multiplier dans tout le pays pendant le dégel culturel.
Dmitri Tchernov/SputnikLes écoles offrant une formation intensive en anglais ont commencé à se multiplier dans tout le pays. Cependant, le fruit de ces efforts éducatifs tardait à se faire sentir. Un certain nombre de facteurs ont nui à la campagne linguistique, notamment un manque de pratique, d'intérêt et d'engagement.
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Tout le monde sait que les jeunes enfants apprennent les langues étrangères plus rapidement que les adultes. Entre 1930 et 1950, l'anglais, l'allemand et le français étaient enseignés comme seconde langue dans les écoles soviétiques. Alors, qu'est-ce qui empêchait les étudiants soviétiques de communiquer avec succès ? Peut-être le fait que les enseignants forçaient les enfants à apprendre par cœur au lieu de susciter un intérêt pour la culture étrangère que chaque langue représentait. « Je ne voulais pas apprendre une langue étrangère à l’école. Je pleurais à chaudes larmes, car je pensais que si je parlais une langue étrangère, personne ne me comprendrait et ce serait un désastre », confie Natalia, 69 ans.
L’écrasante majorité de la population soviétique n’était pas autorisée à voyager à l’étranger et n’avait aucune possibilité de perfectionner ses compétences linguistiques. Ils ne pouvaient tout simplement pas pratiquer de langue étrangère dans un environnement naturel, avec un locuteur natif. En fin de compte, leur anglais était fondamentalement une langue morte, comme le latin.
Au début des années 1960, pendant le dégel, l'apprentissage des langues est devenu un élément central de la politique étrangère en URSS.
Guennadi Chtcherbakov/SputnikSelon le vieil adage latin « Scientia potestas est », la connaissance est source de pouvoir. Et il a fallu une femme déterminée du nom de Natalia Bonk pour stimuler l’étude de l'anglais dans toute l'URSS. Bonk a dédié sa vie à la promotion de la langue de Shakespeare en Union soviétique, et a créé par la suite un manuel qui deviendrait un étalon dans ce domaine. À l'époque, la brillante et prometteuse linguiste basée à Moscou n'était jamais sorti de l'URSS. Après une spécialisation en anglais, elle a commencé à enseigner au ministère du Commerce. Un après-midi, un enseignant senior s'est assis dans une classe. La leçon terminée, il demanda où Bonk avait trouvé ses exercices de grammaire anglaise. Natalia a répondu qu'elle les avait créés elle-même, en raison du manque de matériel éducatif dans les manuels disponibles. Le lendemain, Bonk était chargée de diriger le cours et a été invitée à travailler sur un nouveau manuel.
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Sa grande œuvre a vu le jour en 1960. La première édition a été publiée par la maison d’édition communiste Globus en Autriche. Bonk et ses co-auteurs étaient presque en larmes quand le livre est arrivé, aussi lourd qu'une brique. « Nous avons été horrifiés par le poids et l'épaisseur de la couverture rigide, et demandions à nos amis d'acheter le livre pour qu'il disparaisse de la surface de la terre. Pour une raison quelconque, nous n'avons pas été horrifiés par les textes extrêmement idéologiques et très naïfs des premières éditions du livre », s’est souvenue plus tard Bonk.
Qui aurait deviné que l'œuvre en deux volumes, écrite en collaboration avec Galina Koti et Natalia Loukianova, résisterait à l'épreuve du temps, s’imposant comme un ouvrage culte dans son genre ?
Plusieurs générations d'étudiants soviétiques ont appris l'anglais avec le best-seller de Bonk.
Alekseï Varfolomeïev/SputnikIl a été réimprimé de nombreuses fois depuis 1960, les étudiants le décrivant toujours comme un puissant outil pour apprendre la langue. La dernière édition est sortie en 2019 et s'est vendue comme des petits pains dans les meilleures librairies de Moscou.
« Je me souviens du manuel Bonk de mes années universitaires, dit Vadim, 56 ans. Je l'ai emprunté à un ami il y a longtemps, mais je ne lui ai jamais rendu. C'était un livre très populaire à un moment donné. Il y a plusieurs années, lorsque j'ai dû partir en voyage d'affaires en Suède, j'ai feuilleté le pavé de 900 pages et l'ai trouvé assez utile. C'est bien si vous recherchez une solution rapide ou que vous devez vous améliorer votre grammaire ».
Le succès du manuel peut être interprété de plusieurs manières.
« Il a été écrit pour les personnes dont la langue maternelle est le russe. Par conséquent, les difficultés qui surgissent au cours du processus d'apprentissage proviennent des différences dans la structure grammaticale des langues russe et anglaise, dans le vocabulaire et la phonétique. Et pourtant, il existe de nombreuses similitudes entre les deux », a expliqué l'auteur du manuel.
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Pour le meilleur ou pour le pire, plusieurs générations d’étudiants soviétiques ont appris l’anglais avec le best-seller de Bonk. Pendant longtemps, il n'y avait pas de manuel alternatif en anglais susceptible de l’égaler en taille et en diffusion. Le Bonk est devenu une sorte de bible pour les apprenants soviétiques.
« Je me suis procuré ce manuel en deux volumes en 1965, peu de temps après avoir terminé l'université. Je suis devenu ingénieur et j'ai commencé à travailler sur des projets architecturaux. J'avais besoin de l'anglais pour travailler. Un de mes amis, un linguiste professionnel, m'a dit que le manuel Bonk me permettrait de comprendre comment fonctionne la langue. Je l'ai trouvé extrêmement ennuyeux et répétitif, inondé de longs textes sur les "camarades de l'Union soviétique". De nos jours, les enfants apprennent l'anglais à travers des chansons et des jeux. À mon époque, apprendre une langue étrangère était une véritable torture. Néanmoins, j’ai fait de mon mieux pour apprendre les bases de la langue anglaise avec le livre de cours de Bonk, faute de mieux », explique Nina, 73 ans.
Des étudiants participent à un cours d'anglais à l'école numéro 20 de Moscou, spécialisée dans l'enseignement intensif de l'anglais depuis 1958.
Lev Polikachine/SputnikEn l'absence de bonnes alternatives, certains jeunes Soviétiques ont essayé d'améliorer leurs faibles compétences orales en écoutant la radio. « J’ai étudié l’anglais à l’école, mais tout ce que je pouvais dire huit ans plus tard, c’était "Londres est la capitale de la Grande-Bretagne", se souvient Fiodor, 69 ans. Pour rattraper le temps perdu, j'ai écouté la BBC. La datcha de mes parents était à environ 25 kilomètres de Moscou, donc le signal était bien meilleur que dans la capitale. Rappelez-vous, c'était une époque où les signaux radio internationaux étaient brouillés par les autorités communistes pour protéger les citoyens soviétiques de l'influence pernicieuse de l'Occident. Quand j'ai commencé à écouter la British Broadcasting Corporation, je n'ai pas compris un mot. Six mois plus tard, j'ai commencé à y voir plus clair. Ecouter un discours libre m'a finalement aidé à développer mes capacités linguistiques ».
La radio n'était pas la seule source d'apprentissage de l'anglais en URSS. Certains ont trouvé que la meilleure façon d'apprendre cette langue était simplement de se fier à son oreille musicale.
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« Je n'ai jamais voulu étudier une langue étrangère, se souvient Sergueï, 56 ans. Pour quoi faire ? J'étais presque sûr que je n'irais jamais à l'étranger. Ma mère, qui travaillait dans une maison d'édition, a étudié l'anglais à l'école dans les années 1940, mais ne l'avait jamais pratiqué. C'était un problème courant : il n'y avait personne à qui parler. Je ne voulais pas perdre mon temps à apprendre quelque chose que je ne pourrais pas utiliser dans la vraie vie. L'année 1975 a cependant marqué un tournant. J'ai écouté les Beatles. Un an plus tôt, les singles des Beatles étaient diffusés par la maison de disques Melodia. Le plus drôle était que le nom du groupe n'était mentionné nulle part. Il n’est pas exagéré de dire que j’ai écouté cent fois I Me Mine et Let it be. C’est là que j’ai compris que la bonne musique et le langage étaient étroitement liés ».
Les étudiants soviétiques qui ont appris l'anglais comme seconde langue ont souvent cru à tort que l'apprentissage de la grammaire leur ouvrirait toutes les portes. En réalité, ils pouvaient à peine parler la langue. Leur anglais semblait raide, car la seule façon de l'apprendre était de lire des livres et de la littérature technique. Les vraies compétences conversationnelles étaient impossibles à obtenir, et il n’était même pas possible de regarder un film en anglais. Paradoxalement, des millions de citoyens soviétiques ont suivi des années de formation linguistique à l’école sans jamais être en mesure de converser en anglais. En somme, un échec terrible pédagogique.
Dans cette publication découvrez quelles langues sont parlées en Russie à part le russe.
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