Les bâtisses du village de Sigovo se cachent derrière la luxuriante verdure des arbres et des jardins, tandis que le silence n'est rompu que par de rares aboiements. En été, la bourgade voit affluer les propriétaires de datchas, et lors des jours de commémoration, celle des représentants du peuple autochtone, les Seto, venus se recueillir sur les tombes de leurs ancêtres et visiter les antiques demeures de leurs aïeux.
« Sigovo, c'est l'unique village de Russie où l'on trouve un habitat compact de Setos,
nous explique Tatiana Ogareva, directrice du musée seto et notre guide du jour. J'ai été bouleversée quand je suis venue ici dans les années 80. Les Setos y vivaient comme au XVIIIe siècle, ils menaient une économie de subsistance, produisaient tout eux-mêmes, des chaussures et vêtements jusqu'aux outils de travail. Pratiquement personne ne parlait russe », se remémore-t-elle.
« Et quand sont-ils tous partis ? »
« Lors de la création de la frontière entre la Russie et l'Estonie, dans les années 1990. D'ailleurs, avant que tous les Setos ne partent pour l'Estonie, l'artiste Maria Tiourina a peint le portrait de chacun des 21 habitants du village, c'est comme ça qu'au musée sont apparues des poupées avec leurs visages. Les touristes visitant l'établissement réagissent différemment face à ces figures : certains prennent peur, d'autres sont si surpris qu'ils y reviennent par la suite ».
/ Polina Kochetkova
Lorsque les Seto ont abandonné Sigovo, ils ont songé qu'une trace de leur mémoire devait y rester, et ont alors rassemblé divers objets ayant appartenu à leurs ancêtres. Chaque chose ici a été réalisée à la main, c'est pourquoi le premier musée que ce peuple a, de son vivant, consacré à sa culture, se nomme « Collection de l'auteur », éclaircit Tatiana.
Petite taille et blanche chevelure, la guillerette directrice du musée ne quitte Sigovo qu'en cas de grande nécessité. Il faut dire que le chemin pour se rendre dans ce hameau n'est pas des plus aisés : il faut prendre le train ou le bus depuis Saint-Pétersbourg jusqu'à Pskov, ensuite monter dans le bus jusqu'à Petchory, et enfin parcourir les huit derniers kilomètres en voiture ou à pied. Tatiana Ogareva réside à l'année dans le village : l'été elle a beaucoup de travail avec les touristes, mais l'hiver venu, elle redoute que le toit du musée ne finisse un jour par céder sous le poids de la neige. Tout repose sur les épaules de Tatiana, qui soufflera bientôt ses 80 bougies.
Accompagné du photographe, j'avais remarqué la pancarte « Seto museum » sur le portail d'une maison de bois ordinaire, autour de laquelle picorent des poules et verdissent un potager ainsi qu'un verger. Nous nous sommes donc mis à la recherche de l'endroit où pouvait bien se dissimuler l'établissement. Tatiana nous a alors ouvert les portes de cette sorte de grange qui se détachait à peine du paysage et dans laquelle étaient conservées toutes les reliques du peuple seto : des costumes traditionnels, des machines à tisser, de longues toiles blanches ornées de motif rouges, avec lesquelles on décorait les icônes dans les maisons et que l'on surnommait « serviettes de Dieu ». Les gens ont quitté le village et n'ont pas pu tout emporter, ou alors n’accordaient-ils que peu d’importance à ces objets anciens, ne voyant alors en eux aucune valeur.
Le musée est abrité dans une maison seto classique, traditionnellement dotée de hauts plafonds. L'une des parties du bâtiment est délimitée pour faire office d'étable, une autre est à usage domestique, tandis que la troisième servait d'entrepôt pour le foin. Celle-ci avait été construite par la famille Külaots à la fin du XIXe – début du XXe siècle. La vie de tous les Seto se déroulait autrefois dans ce genre de logis.
/ Polina Kochetkova
C'est en 1815, dans les écrits du voyageur allemand Christian Nest Schlegel, qu'il a pour la première fois été fait mention des Seto. Le nom même de ce peuple n'est apparu qu'au XIXe siècle ; auparavant on les qualifiait en effet de « Tchoudes de Pskov » (Les Tchoudes sont des populations d'Europe de l'Est). Pendant près de 500 ans, les Seto ont occupé les terres de Pskov et de Petchory, en toute harmonie avec leurs voisins russes et estoniens. Les frontières de ces peuples se chevauchaient d'ailleurs en de nombreux points, créant de multiples enclaves.
Ayant de tout temps joué le rôle de carrefour culturel, ce territoire a réussi à préserver les traditions communes à différents peuples, tels que les Slaves, les Finnois de la Volga et les Finnois de la Baltique. Par ailleurs, le musée de Sigovo est, en Russie, l'unique musée dédié aux Seto.
A Setomaa, nom qu'attribuaient les locaux à cette terre, l'artisanat et la propriété étaient autrefois parfaitement développés. Les paysans tiraient principalement leurs revenus de la vente de lin, et chacun s'efforçait d'acheter plus de terres, pour accroître sa surface de culture. Le lin seto s'écoulait facilement, notamment auprès des Anglais, qui en achetaient pour produire des cordes et des voiles de bateau. Ce même lin était également utilisé par les paysans afin de fabriquer des vêtements pour tout le village.
Les hommes et les femmes seto savaient tout faire, labourer, construire, réparer, fabriquer. Dans ce musée des antiquités on trouve par exemple des chaussures en cuir, dont la semelle a été fixée à l'aide de petits clous en bois de la taille d'une allumette. Voilà l'habilité dont faisaient preuve les Seto.
Mais un jour, à la fin du XXe siècle, leur territoire s'est subitement retrouvé divisé en deux par la frontière russo-estonienne. Du côté russe sont surtout restés les anciens, qui ne pouvaient abandonner leurs maisons natales et la tombe de leurs ancêtres. De l'autre côté s'en sont allés leurs nombreux petits-enfants et proches parents. Les Seto de différents villages se rassemblent néanmoins à Sigovo pour les fêtes importantes : la Pentecôte, qui est ici célébrée 51 jours après Pâques, ou le festival familial de Setomaa, du 27 au 29 août.
/ Polina Kochetkova
Lors des célébrations, telles que celle de Kirmach, le musée résonne de musiques et de chants, on se lance aussi volontiers dans des danses folkloriques seto. On y parle toutefois russe et estonien, peu nombreux sont ceux à maîtriser le seto, et il s'agit généralement des anciens.
Les femmes revêtissent des chemises blanches de fête, d'amples sarafanes (robes droites sans manches) rouges qu'elles maintiennent avec une large ceinture, nouent un foulard autour de leur tête et ornent leur cou d'une multitude de bijoux en argent et d'un sautoir traditionnel nommé souour solg. Les hommes, selon la tradition, portent quant à eux un pantalon noir ainsi qu’une chemise traditionnelle boutonnée sur le côté dotée de larges manches et d'une fente au niveau du torse, et attachent une ceinture faite de cordes tressées.
Grâce au développement des réseaux sociaux, les Setos d'Estonie, ceux de Russie, et même ceux qui se sont installés en Sibérie se retrouvent lors de cette fête. Ensemble, ils se remémorent la vie que leurs aïeux menaient sur ces terres.
« Notre culture est bien vivante, acquiesce Aare Hõrn, ministre de la culture seto, après avoir enfilé un costume traditionnel. Peu de gens se souviennent de la langue, nos enfants parlent principalement estonien et anglais. Mais à l'occasion des anniversaires et des fêtes, ils recommencent à entonner des chants seto, et c'est formidable ».
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