Sur la place centrale d’Elista, l’incontournable statue de Lénine fait désormais face à une pagode abritant un moulin à prières. Un voisinage d’une dizaine d’années qui opère une étrange synthèse historique. À la jonction des trois grandes villes de la région – Stavropol, Astrakhan et Volgograd –, la petite capitale de la Kalmoukie fleure l’exotisme, posée au milieu de la steppe (elle fut un temps appelée Stepnoï).
Originaires d’Asie centrale, les Kalmouks sont héritiers d’une histoire complexe. Ils se sont établis dans la région à la fin du XVIème siècle et y ont introduit le culte bouddhiste. Interdit pendant plusieurs décennies sous le régime soviétique, ce dernier connaît aujourd’hui un renouveau dont le symbole est l’imposant Refuge d’or : inauguré fin 2005, le grand temple d’Elista domine la ville et abrite la plus grande statue de Bouddha d’Europe – neuf mètres de hauteur. À l’entrée du « khurul » – le terme employé ici –, au pied d’une fontaine en escalier, une divinité ornée de morceaux de tissus de couleur accueille les croyants. « C’est Tsagan Aav, le Vieux Sage Blanc, l’ange gardien de ma fille Vera, explique une fidèle. Il la protège du malheur et veille sur elle. À Astrakhan, où elle étudie, elle a le Sage Blanc dans sa chambre et elle le prie ».Fin mai, l’affluence de fidèles venus célébrer la naissance de Bouddha donnait la mesure de l’importance retrouvée de la pratique religieuse. En vertu d’un décret signé cette année, la fête de Bouddha est désormais une fête nationale.
Construit en hommage aux victimes de la déportation sous Staline, le Refuge d’or est le nouveau centre religieux de la Kalmoukie. Il abrite un musée de l’histoire du bouddhisme où sont notamment exposées des photos de la visite à Elista du Dalaï Lama, en 2004. Au-delà des cérémonies, le temple organise séminaires et conférences mais aussi rencontres individuelles. Les Kalmouks viennent notamment consulter des astrologues.
Demeure d’or de Bouddha Shakyamuni, le plus grand temple bouddhiste d’Europe. Crédit : Vostok-photo
« À l’époque soviétique, les gens manquaient de nourriture spirituelle. Le retour du religieux ne concerne pas uniquement le bouddhisme mais tous les cultes en Russie », observe Sanan Guelioung, l’administrateur du temple. « Bien sûr, les individus sont confrontés à toutes sortes de problèmes dans leur quotidien – le chômage, la maladie –, mais le soutien moral et spirituel est indispensable. On dit que si tout va bien à l’intérieur, le reste suit ». Un renouveau religieux qui s’accompagne, selon le moine, d’une réappropriation de la culture kalmouke et de celle, ancestrale, des Oïrats, nomades mongols dont les Kalmouks sont des descendants.
Ces traditions ont été perdues dans le tumulte d’un XXème siècle très lourd pour le peuple kalmouk. « Pendant la guerre civile, la moitié des Kalmouks ont été tués », avance Bassan Zakharov, directeur d’un centre culturel oïrat. Durant la révolution bolchévique, ils sont nombreux à prendre parti pour les contre-révolutionnaires. D’autres émigrent. Les bouleversements politiques portent un coup fatal à la culture : l’intégralité des temples est détruite. Et en 1943, les Kalmouks subissent le même sort que d’autres peuples de l’Union soviétique : « après la débâcle allemande de Stalingrad, Staline, Molotov et Beria décident la déportation de la population kalmouke [en Sibérie, ndlr] pour ‘trahison’ et collaboration avec l’ennemi », indique le chercheur Franck Gosselin dans son article Les Kalmouks de France. Itinéraires d’une immigration méconnue. Ce n’est qu’en 1956, après la mort de Staline, que les Kalmouks sont autorisés à rentrer. Mais la pratique du culte reste interdite jusqu’à la chute du communisme.
R. Mangasaryan /RIA Novosti
Signe d’un retour aux sources, un centre culturel tibétain a fait son apparition l’année dernière à Elista. Depuis les années 90, le retour du bouddhisme a été favorisé par Kirsan Ilioumjinov, à la tête de la république jusqu’en 2010 et président de la Fédération internationale d’échecs depuis vingt ans. Cet homme d’affaires aussi excentrique que controversé a notamment fait construire une quarantaine de temples. Ces décennies d’interdiction et la disparition des moines et lamas ont eu de lourdes conséquences sur l’enseignement de la philosophie bouddhiste, qui renoue aujourd’hui avec la tradition. « Beaucoup de nos étudiants vont en Inde, dans l’État du Karnataka, où se trouve un institut tibétain qui délivre un enseignement spirituel supérieur, explique Sanan Guelioung. Une formation spirituelle de qualité nécessite au minimum dix années d’apprentissage ». Comme lui, qui y est resté douze ans, plusieurs moines ont déjà achevé leur formation. Ils transmettent désormais leur savoir sur la terre de leurs ancêtres.Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
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