Moscou, place Rouge, le 5 mars 2014 : Un homme tient le portrait de Joseph Staline lors de la cérémonie marquant le 61ème anniversaire du décès du leader soviétique. Joseph Staline est mort le 5 mars 1953 à l'âge de 74 ans.
EPAQuand Joseph Staline, l’un des dirigeants les plus contestés de l’histoire de l’URSS et de la Russie actuelle, est mort en 1953, c’était presque un dieu pour les Soviétiques. Grâce à la propagande, Staline était adulé partout dans le pays : des monuments étaient élevés de son vivant, des chansons étaient composées à sa gloire et des villes étaient nommées en son honneur.
Après la mort du Petit père des peuples le culte de la personnalité s’effondra rapidement. Le nouveau leader Nikita Khrouchtchev condamna les répressions staliniennes ayant fait des millions de morts innocents. Le pays entama la déstalinisation : les monuments furent détruits, les personnalités officielles évitaient de citer son nom. Au cours de la perestroïka et après la chute de l’Union soviétique, le silence céda sa place aux critiques. « La faute de Staline devant le parti et le peuple – les répressions de masse et l’arbitraire – est énorme et impardonnable », a déclaré Mikhaïl Gorbatchev dans un rapport de 1987. Les leaders des pays ayant fait partie de l’URSS ont eux aussi vilipendé les crimes de l’époque stalinienne.
Déstalinisation manquée
Mais même au XXIe siècle, la Russie voit apparaître de nouveaux monuments à Staline. Il s’agit le plus souvent de petits bustes installés par les communistes. Depuis 2012, les activistes de certaines villes russes affichent le Jour de la Victoire (9 mai) des portraits de Staline sur des bus dit « stalinobus ». Ainsi, à Penza (environ 640 km au sud-est de Moscou), les communistes ont ouvert un petit « Centre Staline » à l’image du Centre Eltsine d’Ekaterinbourg (Oural) et ont proclamé 2016 « année de Staline ».
Il faut dire que les initiatives des communistes trouvent souvent un écho positif au sein de la population. Selon un sondage du Centre analytique Levada réalisé en 2016, 54% des personnes interrogées estiment que Staline a joué un rôle positif dans l’histoire du pays, soit le chiffre le plus élevé depuis 2003, année du début de tels sondages. Le nombre de Russes se félicitant des activités de Staline a diminué jusqu’en 2008 (39%) avant d’entamer une remontée. Ceux qui estiment que les répressions staliniennes étaient une « nécessité politique » sont également plus nombreux, avec un record de 26%.
Le politologue Alexeï Makarkine, vice-président du Centre des politiques publiques, estime que la déstalinisation a été un échec parce qu’elle est associée à une période de ratages et de revers. « Staline a été vivement critiqué pendant la perestroïka, ses crimes ont été révélés et ce fut le choc. Aujourd’hui, la perestroïka est considérée comme le temps des erreurs et du démembrement du pays et la population tire la conclusion suivante : puisque Staline a été critiqué à l’époque de la perestroïka, ça signifie que c’est un personnage positif », a-t-il expliqué à RBTH.
L’image du vainqueur
Toujours d’après Alexeï Makarkine, ce qui rend Staline particulièrement populaire, c’est la victoire dans la Seconde Guerre mondiale. « Staline était le chef suprême des armées. La société russe voit s’épanouir le culte de la Victoire et, aux yeux de la majorité, il est impossible de passer outre celui qui a commandé l’armée ».
D’autres succès enregistrés sous Staline sont également considérés comme les siens, a poursuivi Alexeï Makarkine : « Selon les stalinistes, c’est lui qui a réalisé l’industrialisation du pays, construit des usines et rattaché de nouveaux territoires. Aujourd’hui, la Russie est dominée par une approche pragmatique et non morale de l’histoire : si vous avez élargi le territoire du pays, vous êtes un bon leader ».
Staline pour son voisin
Valéry Soloveï, analyste politique et professeur à l’Institut des relations internationales de Moscou, affirme : « Quand les gens disent avoir de la sympathie pour Staline, cela ne signifie nullement qu’ils voudraient vivre sous son régime. Chacun veut Staline pour son voisin mais pas pour soi ». Les statistiques le prouvent : d’après un sondage du Centre Levada, malgré un grand nombre de sympathisants, seulement 23% des Russes auraient voulu vivre et travailler sous un tel leader.
Le stalinisme russe moderne est en grande partie un phénomène de protestation, constatent les experts. « L’image de Staline, c’est un leader modeste au quotidien, 'vêtu d’une simple capote'. En contraste avec une élite corrompue, Staline est souvent perçu comme un exemple d’honnêteté », a fait remarquer Alexeï Makarkine. « L’amour pour Staline est une protestation symbolique, l’espoir qu’un leader viendra mettre de l’ordre ».
Le drapeau des communistes
En septembre 2016, des élections législatives se tiendront en Russie. Les représentants du Parti communiste (le second parti d’après le nombre de députés à la chambre basse du parlement actuel) ont d’ores et déjà déclaré qu’ils auraient recours à l’image de Staline pour « s’attirer des voix supplémentaires ».
Les experts jugent cette démarche prometteuse : les nostalgiques de l’URSS seront ravis de se tourner vers Staline. « Les électeurs du PC ont une attitude positive envers Staline, souligne Alexeï Makarkine. Cela pourrait faire effet et les mobiliser ».
Pour les Russes de tendance libérale, Staline est un personnage lugubre, l’architecte de la répression qui a fait de 11 à 39 millions de morts (selon les données de l’organisation de défense des droits de l’homme Mémorial). La déclaration des communistes a d’ores et déjà suscité une levée de boucliers, mais, d’après Valéry Soloveï, ce scandale fait le jeu des communistes. « Staline leur rajoutera des voix, des sympathies et de la réputation, a-t-il indiqué. Ceux qui sont contre Staline ne votent pas pour le PC de toute manière. Ils ne risquent donc pas de perdre des voix ».
Le seul obstacle pour les communistes pourrait être le projet de loi soumis par les députés du Parti libéral-démocrate (LDPR) en vue d’interdire l’utilisation des images de personnes défuntes durant une campagne électorale. Selon les députés du LDPR, ce document n’a pas de lien avec l’initiative du PC, mais s’il est adopté, les communistes devront se passer du « Petit père des peuples » dans leur campagne.
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