Novozybkov, région de Briansk.
Gleb FedorovSi un jour vous allez à Novozybkov, dans la région de Briansk (frontalière de la Biélorussie et de l’Ukraine), vous vous retrouverez dans un coin typique éloigné de la Russie profonde avec ses routes défoncées, des villages à l’abandon, des champs envahis par les herbes folles et des bus datant de l’époque soviétique.
Aucun panneau ne vous signalera qu’il y a trente ans, la ville était située dans la zone d’exclusion et que la partie sud-ouest de la région de Briansk était le territoire fut le plus touché par la catastrophe de Tchernobyl.
A la fin des années 1980, plusieurs centaines de localités du sud-ouest de la région de Briansk figuraient dans la zone d’exclusion, la centrale de Tchernobyl étant située à environ 200 km. Toutefois, personne n’a été forcé à quitter les lieux et ceux qui le voulaient sont restés.
Comment est-ce possible ? Premièrement, avant Tchernobyl, l’Union soviétique n’avait aucune expérience et ne possédait aucune méthode de contrôle ni d’évaluation du préjudice porté par l’irradiation à de vastes territoires. Cette activité aurait exigé des années. Ainsi, ni la population ni les autorités ne connaissaient l’ampleur réelle de la catastrophe.
Deuxièmement, l’accident et la lutte contre ses conséquences remontent aux dernières années de l’existence de l’URSS et aux années 1990, quand l’Etat n’avait tout simplement pas d’argent pour décontaminer les territoires touchés et réinstaller les habitants. En outre, ces derniers ne voulaient pas quitter leurs foyers.
Viktor Strelioukov (40 ans), ses parents et leurs ancêtres ont toujours vécu à Sviatsk, à une trentaine de kilomètres de Novozybkov. Un village florissant de vieux-croyants, avec deux églises et des centaines de maisons – ce qu’était Sviatsk il y a 30 ans – a cédé sa place à une jeune forêt.
La plupart des habitants sont partis. Les ruines de leurs maisons sont toujours visibles parmi les arbres. La dose de rayonnement sur les lieux est d’environ 0,6 microsievert par heure, tandis que la norme acceptable en Russie est de 0,15 microsievert.
Il reste à la périphérie de Sviatsk un vieux cimetière où l’on enterre toujours les habitants des environs, ainsi qu’une chapelle que Viktor a élevé à l’endroit de l’église victime d’un incendie. Viktor et ses parents sont parmi les rares habitants à ne pas être partis après la catastrophe. Aujourd’hui, ses parents reposent au cimetière, tandis que lui suit des traitements anticancéreux.
En 1986, la lycéenne Galina Sviridenko avait 16 ans, l’âge qu’a aujourd’hui son fils Denis. Le garçon n’a pratiquement pas d’oreilles, il souffre de déviation de la colonne vertébrale et des os, ainsi que de troubles du développement. Il a subi huit interventions chirurgicales. Galina a mis trois ans pour prouver le lien entre l’irradiation et les malformations.
Sept enfants nés en 2000 à Novozybkov sont atteints de trisomie. Selon les statistiques citées par Lioudmila Komogortseva, ancienne adjointe au gouverneur de la région de Briansk et aujourd’hui écologiste, après la catastrophe de Tchernobyl, le nombre d’enfants atteints de maladies chroniques est passé de 8% à 80%. En outre, les habitants de la région souffrent de cancer deux fois plus souvent que la moyenne des Russes.
Selon le chirurgien de l’hôpital du district de Novozybkov, Viktor Khanaïev, le danger provient non du rayonnement en tant que tel, mais des doses infimes de radiation absorbées avec les produits locaux. Au fil des années, ces concentrations risquent de provoquer un cancer et de se répercuter sur la descendance.
La population locale est tellement habituée aux radiations qu’elle préfère ne pas en parler, bien que les radionucléides aient intoxiqué tout ce qui pousse et qui existe dans la région : la terre, l’eau, le bois, les animaux sauvages, les baies et les champignons. Or, les salaires étant très bas, la forêt et le potager sont les principales sources d’alimentation. « On en a mangé pendant trente ans et rien d’horrible n’est arrivé », disent les habitants.
Mais c’est quand même horrible. Une employée du laboratoire local de contrôle des rayonnements indique que si la terre est devenue moins contaminée, les produits contiennent des doses tout aussi élevées qu’il y a trente ans. Des champignons séchés cueillis l’année dernière affichent en laboratoire une dose de 100 000 becquerels par kilo, le niveau accepté étant de 2 500.
Toutefois, la liste 2016 des localités devant être évacuées dans la région de Briansk est devenue plus courte et ne compte plus que 26 villages au lieu de 226. Novozybkov est officiellement exclu de cette liste. La compression de celle-ci a entraîné une réduction des allocations versées aux habitants des régions dangereuses : ils ne touchent plus en moyenne que 1 000 roubles (13,5 euros) par mois au lieu de 2 000 (27 euros).
Les sommes débloquées par l’Etat et les autorités locales ne suffisent pas à relever la région. Mais les habitants ne veulent pas partir. « Il est possible d’y vivre à condition de respecter les règles de sécurité radiative, affirme Viktor Khanaïev. Il est indispensable de décontaminer la forêt et d’amener des produits sains et des engrais spéciaux. C’est l’Etat qui doit nous aider, mais il ne nous aide pas ».
« Peu importe l’appellation de notre zone. Nous avons besoin d’indemnisations réelles », indique le médecin. Les indemnités – allant de 2 000 (27 euros) à 6 000 roubles (80 euros) – seraient d’une grande aide dans une région où il y a peu d’emplois et où 10 000 roubles (135 euros) constitue un bon salaire.
Oksana Inachevskaïa, présidente du Conseil des mères de Novozybkov, estime que les habitants sont prêts à affronter les problèmes, mais qu’ils ne voient aucune perspective économique : « Le développement économique de ces régions s’est achevé avec l’accident de Tchernobyl ».
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