On reconnaitrait ses peintures entre mille, bien qu'il puise son inspiration dans différents styles. On retrouve chez lui la naïveté du douanier Rousseau et le romantisme des pauvres quartiers juifs de Chagall, ses patineurs rappellent Bruegel, et ses « mangeurs » ceux de Van Gogh ; les histoires universelles d’anges se mêlent aux images d’Épinal russes.
Crédit : Sergei Karpov/TASS
Dans chaque tableau de Lioubarov se cache une histoire, avec ses personnages, principaux comme secondaires, aux caractères si méticuleusement peints, ses lieux si clairement définis et ses imitations de héros légèrement imaginaires.
Ce n’est pas par hasard si un spectacle de marionnettes a été monté à partir de ses tableaux (nominé au Masque d’or, grand prix théâtral russe), ainsi qu’un spectacle étudiant à Moscou et un ballet au Danemark. Peut-on juger de la vie russe à partir de ces histoires ? Oui, mais son authenticité sera la même que si l’on dressait une carte des villages à partir des contes russes. Le monde qu’il crée est un concentré d’histoire collective soviétique, de campagne russe et de souvenirs de grands-mères.
Vladimir Lyubarov. Crédit : Genrietta Peryan/Global Look Press
L'univers de contes à moitié imaginés par Lioubarov existe réellement : il s'agit du village de Peremilovo, à trois heures de route de Moscou. Selon la légende, ce bourg existait déjà du temps de l'impératrice Catherine II, qui y envoyait en exil les favoris dont elle s'était lassée. Il semblerait que le nom du village vienne d'un jeu de mots (petit, « mily » en russe, faisant allusion au favori, ndlr). C'est également dans ses environs que le grand peintre d'icônes Andreï Roublev est né au XIVe siècle.
Vladimir Lyubarov? Crédit : Genrietta Peryan/Global Look Press
Avant d'aller s'installer dans les profondeurs de la province russe traditionnelle, Lioubarov fit carrière dans la capitale dans les années 1960, au moment du dégel. Il étudia à l’université le graphisme, refuge de l'époque pour les artistes qui ne faisaient pas la différence entre l'esthétique et le réalisme socialiste, et un moyen pour eux d’échapper à la censure. Il mettait en forme les classiques mondiaux et russes, Jules Vernes et Edgar Allan Poe, Voltaire et Hoffman. Il imagina le design d’un magazine de vulgarisation scientifique, La chimie et la vie, dans un style assez original pour l’époque.
Vladimir Lyubarov. Crédit : Genrietta Peryan/Global Look Press
Au début de la perestroïka, il fonda avec un groupe d’auteurs la première maison d’édition privée, Texte (à l’époque soviétique il n’existait que des maisons d’édition d’État). C’est en 1991, durant cette vague de succès, qu’il changea radicalement de vie à presque 50 ans.
Vladimir Lyubarov. Crédit : Genrietta Peryan/Global Look Press
Son départ loin des vanités de la ville pour la campagne profonde fut un pas décisif pour cet intellectuel russe qui, comme Léon Tolstoï, s’était mis à la recherche de la vérité et du sens dans la simplicité, ou bien aujourd’hui Nikolaï Poliski, grâce auquel le village de Nikolaï-Lenivets près de Kalouga est devenu il y a quinze ans le centre du land-art russe.
Le Peremilovo de Lioubarov, où il se mit à cultiver un potager, couper du bois et peindre ses nouveaux voisins, est apparu sur les toiles et s'est transformé en une série infinie de peintures qui se poursuit depuis déjà un quart de siècle. Depuis lors, les habitants de Peremilov ont gagné une reconnaissance internationale, les expositions de Lioubarov, après avoir orné la galerie Tretiakov et le musée Russe de Saint-Pétersbourg, ont voyagé en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Chine et vers d’autres pays.
Un paysan barbu au pantalon raccommodé, serrant avec précaution un ange contre son cœur, des femmes corpulentes avec des baguettes de pain sous le bras et portant des robes à tablier, des vendeuses permanentées dans leur magasin, des hommes et leurs verres de vodka, voici les personnages typiques et bien connus, semblables à ceux qui vivaient dans le village il y a cent ans comme il y a dix ans, et qui y vivent encore aujourd’hui. « Saugrenus, biscornus, ridicules, mais bons et fidèles à eux-mêmes. De véritables philosophes, surtout lorsqu'ils boivent », de l’aveu de Lioubarov.
Vladimir Lyubarov. Crédit : Genrietta Peryan/Global Look Press
Une autre série importante est celle du « Bonheur juif » s’inspirant des récits de sa grand-mère juive qui tenait jusqu’à la révolution l’auberge « Chez Madame Lioubarov » où elle servait des « carpes farcie », et dont les histoires mêlaient ses souvenirs personnels et les récits de Cholem Aleikhem.
Vladimir Lyubarov. Crédit : Genrietta Peryan/Global Look Press
Ses tableaux foisonnent de détails que chacun connaît depuis l'enfance, et qui tendent aujourd’hui à disparaître. Les toques de skieurs, le bain russe avec ses branches de bouleau, les boîtes de gruau et les grosses balances en métal sur les étagères des boutiques, le thé dans des verres et leur porte-verre dans les wagons de seconde classe des trains, les sacs de pommes de terre et les bocaux de cornichons au marché : tous ces éléments caractéristiques du quotidien soviétique sont exposés ici avec une ironie bienveillante.
Vladimir Lyubarov. Crédit : Genrietta Peryan/Global Look Press
« Dans ma conception, c’est l’image de la Russie, celle qui vit selon les lois du « miracle russe », dans son propre espace-temps qui réunit le passé, le présent et le futur », explique l'artiste.
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