Cathédrale de la Dormition au Kremlin de Moscou
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« Je portais une croix quand j'étais enfant, je l'ai perdue cinq fois, à un moment donné j'ai décidé que soit Dieu m'abandonne, soit il n’existe pas. À l'adolescence, je suis arrivé à la conclusion que ce n'était qu'un malentendu et qu'il n'était pas nécessaire de croire en quelqu'un, et j'ai décidé d'abandonner la foi en Dieu », c'est ainsi que Daniil Istomine, 18 ans, étudiant et futur enseignant en école primaire à Moscou, parle de son chemin vers l'athéisme.
Les parents de Daniil ont toujours cru en Dieu, se rendaient à l'église presque tous les jours pour prier et allumer des bougies, et son père refusait d'écouter l'opinion contraire de son fils – selon Istomine, on ne parle pas de Dieu dans leur famille « parce que papa s’énerve fortement, il est trop croyant ».
« Mes parents croient que le bonheur est apporté par Jésus-Christ, et ils se portent bien grâce à cela, mais heureusement, ils ne m'emmènent plus à l'église, après tout, je suis un grand garçon », raisonne le jeune homme.
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Cathédrale orthodoxe bordant la place Rouge, à Moscou. Octobre 2020
AFPAu cours des quatre dernières années, de 2017 à 2021, le nombre d'athées en Russie a doublé, passant de 7% à 14% de la population, selon une enquête du Centre panrusse d’étude de l'opinion publique (VTsIOM).
« Mes parents m'ont baptisée à l'âge de trois ans, personne ne me l'a demandé, et à cet âge, je n'ai pas vraiment réalisé ce qui se passait – comment puis-je me qualifier d'orthodoxe après cela ? », argumente Tatiana Melnikova, une élève de 11e année (équivalent de la terminale).
Les jeunes entre 18 et 24 ans sont les plus enclins à se considérer comme athées (ils sont 22% à se qualifier ainsi), selon les statistiques de VTsIOM, et Tatiana en fait partie. Sa vision du monde a été principalement influencée par la foi de ses parents et par un accès précoce aux réseaux sociaux – dès l'âge de 10 ans, elle a réalisé qu'elle ne croyait pas en Dieu.
« Je ne me souviens pas de ce que j'ai lu ou regardé exactement, mais ce choix ne m'a été imposé par personne. Seules les disputes sur la foi avec mes parents surviennent encore aujourd'hui, et chacun reste sur ses positions », se plaint Melnikova.
Selon l'étude de VTsIOM, 18% des athées interrogés ont entre 25 et 34 ans.
« Quand j'avais 14 ans, par intérêt j'ai lu la Bible en entier, trop d'incohérences. Je lis les réponses aux questions sur les sites web des églises, du patriarcat, mais elles ne résistent pas à la critique, tous leurs dogmes sont trop dépassés », raconte Artiom Belotigrov, avocat de 32 ans, son passage à l’athéisme.
Après l'école, Artiom s'est pris de passion pour la science et a cessé de croire en Dieu. Certes, il visite encore des églises, mais il les considère comme de simples objets architecturaux.
Près de la mosquée-cathédrale de Moscou. Août 2019
AFPUn autre Russe, Boris Serbianine, ouvrier de 34 ans, s'est intéressé à l'athéisme alors qu’il était encore écolier, et posait souvent des questions sur la religion à sa mère croyante.
« Mes parents étaient satisfaits de ma façon de voir les choses, mais lorsque j'ai commencé à remettre en question les dogmes du christianisme, comme : "Pourquoi aucun homme n'a ressuscité jusqu'ici ?", "Pourquoi Dieu permet-il les guerres et la famine alors que des innocents souffrent ?", et que je leur ai ensuite posé directement ces questions, cela a commencé à les surprendre désagréablement, ce qui m'a donné des raisons de douter de l'existence du surnaturel. Mais l'opinion de ma mère a fait autorité pour moi jusqu'à ce que je sois diplômé de l'école », relate-t-il.
À l'université, Boris a commencé à étudier la philosophie, l'astronomie, la physique et la chimie, et c'est là qu'il a acquis la conviction presque définitive que Dieu n'existe pas. En 2011, sa mère est décédée, et bientôt sa grand-mère – pendant un certain temps après leur disparition, il a fréquenté des églises orthodoxes, a parfois assisté à des services, a commencé à célébrer des fêtes chrétiennes et à prier, mais il considérait lui-même cela comme une réaction au deuil.
« Et peu importe combien vous priez, la personne n’est plus là. Peu importe le nombre de bougies que vous mettez, et il n'y a pas d'échappatoire au cancer. Après m'être remis de mon chagrin, j'ai commencé à lire des livres sur l'hypnose collective, le chamanisme et les conspirations gitanes et j'ai réalisé que Dieu, le Diable, les malédictions, les fées, les esprits et les fantômes n'étaient rien de plus que du folklore », résume Serbianine.
Les athées de 35 ans et plus expliquent également leur vision du monde comme un choix conscient, mais certains d'entre eux admettent que leur croyance en Dieu a été influencée par la vie à l'époque soviétique, lorsque l'Église était complètement séparée de l'État et que le pays lui-même promouvait l'athéisme scientifique.
« L'athéisme à l'époque de l'URSS me plaisait, puis dans les années 90, tout le monde est bien sûr devenu croyant. J'ai commencé à étudier l'histoire et la géographie des religions d'un point de vue scientifique. Il m'est apparu clairement qu'il n'y avait que deux visions du monde réellement opposées : la vision scientifique et la vision religieuse. Mes parents sont catholiques, ils aimeraient que je sois croyant, même s'ils ne vont plus eux-mêmes à l'église depuis quelques années », explique Alexander Ovsiannikov, professeur en ligne de langues étrangères, de géographie et de biologie.
Une autre athée, Lioubov Fomina, a expliqué succinctement son manque de foi en Dieu comme suit :
« Je suis née en 1977, je suis une Soviétique, c'est tout ».
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Croyante priant à l'église Saints-Pierre-et-Paul à Kazan
AFPEn quatre ans, de 2017 à 2021, les Russes orthodoxes sont ainsi devenus moins nombreux – leur nombre a diminué de 9%. Néanmoins, il y a aussi ceux qui, au contraire, abandonnent l'athéisme et commencent à croire en Dieu.
« Je venais d'avoir un bébé, mon mari a été renvoyé de son travail. Nous ne comprenions pas comment continuer à vivre et comment donner à notre enfant tout ce dont il avait besoin pour une vie normale. À un moment donné, ma belle-mère a insisté pour que je me rende dans un temple de Saint-Pétersbourg pour prier les saints – lorsque j'ai franchi le seuil de l'église, c'est comme si j'avais perdu ma voix intérieure. Je ne pouvais même pas penser à quoi que ce soit, et les larmes me coulaient des yeux », a déclaré Ioulia Lareva, femme au foyer de 38 ans.
Selon elle, c'est après cet événement que son mari a rapidement obtenu un bon emploi avec un salaire très décent, puis Ioulia a commencé à étudier la Bible et à assister à tous les services religieux.
« Et le fait qu'il s'agisse de l'aide d'un saint ne fait aucun doute pour nous. Maintenant, mon mari et moi attendons un nouveau membre dans la famille. Nous sommes heureux de tout et nous remercions le Seigneur pour tout », se réjouit Lareva.
Croyants orthodoxes durant une procession près de la cathédrale Saint-Isaac de Saint-Pétersbourg. Avril 2019
AFPSergueï Rogojkine, 35 ans, ne croyait pas particulièrement en Dieu depuis son enfance, mais il a été convaincu de son existence à l'école – selon ses mots, lorsque certains de ses camarades de classe « couraient après les filles », ses amis étaient friands de la théorie de l'origine de l'univers, et la version de la création du monde par Dieu lui a semblé la plus logique.
« Le maximalisme juvénile et l'injustice de la réalité sont plus propices à la religiosité, raisonne Rogojkine. J'ai même fait apprendre par cœur à ma mère le Notre Père et le Credo, mais je n'ai pas convaincu mon père – c'était un athée soviétique avec une bonne formation antireligieuse ».
Angelika Praslova, 50 ans, de Veliki Novgorod, n'a pas non plus commencé à croire en Dieu tout de suite – c’est dans les années 90 qu’elle est la première fois allée à l'église, alors qu'elle voulait tomber enceinte.
« Un enfant est né sept ans plus tard, mais j'ai décidé d’effectuer mes relevailles après la mort de mon mari, non pas par chagrin, mais par libération d'un mariage malheureux. Aujourd'hui encore, le Seigneur me soutient, m'endure, me réprimande, me révèle d'autres côtés et de nouveaux sentiments. C'est une nouvelle période de croissance très intéressante », confie-t-elle.
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Dans la ville d'Odintsovo, en périphérie de Moscou. Juin 2019
AFPL'augmentation du nombre d'athées en Russie est principalement due au développement de la science et de la technologie, affirme de son côté le spécialiste des religions Denis Batartchouk.
« Statistiquement, plus il y a d'établissements d'enseignement dans un pays ou même dans une ville, plus le pourcentage de fréquentation des églises est faible. Je pense que le point est que la science fonctionne, et que la religion ne fait que promettre. La science donne simplement des réponses plus concrètes aux questions, et les jeunes aiment cela », déclare-t-il dans une interview accordée à la chaîne de télévision 360.
Rouchan Taktarov, vice-président de la seule société d'athées enregistrée dans le pays, appelée Athées de Russie, affirme quant à lui que l'Église orthodoxe russe impose trop sa religion aux citoyens ordinaires, ce qui provoque un rejet chez certains Russes.
« Tout se passe sous les yeux des citoyens ordinaires. Ils construisent trop d'églises, l’Église orthodoxe russe elle-même essaie d'influencer la nature laïque de l'État – par exemple, elle propose une interdiction des avortements. Et il ne faut pas oublier que nous vivons à l'ère de l'information où les gens peuvent accéder à n'importe quelle information, d'où les résultats », explique-t-il.
Un autre spécialiste des questions religieuses, Viatcheslav Terekhov, affirme cependant que l'augmentation du nombre d'athées n'est pas critique et ne constitue pas un indicateur de l'effondrement de l'Église.
« C'est toujours le propre des jeunes de chercher une vision du monde. Ils ont tendance à changer leur vision du monde plus souvent que les personnes plus âgées. [...] Alors ça peut changer. Peut-être que, dans dix ans, certains jeunes athées penseront différemment », avance-t-il.
En même temps, selon lui, l'Église orthodoxe moderne a une image négative, et de nombreux Russes ne veulent pas y être associés.
« Les médias ne montrent souvent l'Église que dans un contexte négatif, et peut-être aussi que l'Église elle-même est sous la pression des autorités, qui veulent faire de l'orthodoxie une partie de l'idéologie de l'État – les Russes ayant un point de vue d'opposition le voient et ne veulent pas avoir d'affaires communes avec l'Église », estime Terekhov.
Près du Musée de la Grande Guerre Patriotique, sur le mont Poklonnaïa, à Moscou. Octobre 2020
AFPLe prêtre Nikolaï Babkine est d'accord pour dire qu'il y a plus d'athées, mais selon lui, il ne s'agit que d'un effet de mode qui peut être combattu si l'on raconte davantage la vie de l'Église de l'intérieur.
« Nous devons éduquer et informer les gens sur ce que fait l’Église orthodoxe russe. C'est difficile, mais nous devons changer la pensée stéréotypée, comme si à l'église on ne faisait que prier, on s'habillait bizarrement, il y avait des coupoles dorées et des chants incompréhensibles dans une langue difficile. De telles idées sont créées sur la base de films, principalement occidentaux », assure cet homme de foi.
Dans cet autre article, nous vous expliquions pourquoi des orthodoxes russes se tournent vers d’autres religions.
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