Quand je rentre dans mon pays, les Américains ont souvent une seule question qui leur brûle les lèvres. Cela se passe toujours de la même façon. Ils me sourient, comme si nous étions des enfants sur le point de partager un secret, comme si je m'apprêtais à leur fournir des informations secrètes qu'ils pourraient utiliser par la suite pour épater leurs amis et leur famille peu ou non avertis.
Psychologue, 46 ans:
Dans l’ensemble, cela résulte de la simplification de la pensée des gens, du résultat de moins de lecture, de moins de réflexion et de pensée réelles, et de la promotion par les médias de masse de solutions populistes et simplistes.
Ils demandent : « Alors, que pensent les Russes de Trump ? ».
Je leur dis : « Ils pensent que ce type est une blague ».
Puis ils disent quelque chose du genre : « Eh ben, c’est leur faute si on a ce type ».
>>> Mais qu’est-ce que Tolstoï aurait bien pu dire de Donald Trump?
Je suis toujours gêné dans ce genre de cas, comme quand je vois un nouvel article sur LES RUSSES et sur la façon dont ils font ceci ou cela.
C’est un moyen pour nous, Américains, de nourrir à la cuillère notre déni, de nous auto-caresser avec un argument se résumant à ceci : « Bon, nous ignorons tous les signes avant-coureurs, car les Russes sont vraiment doués pour créer du putaclic ».
Les Russes, en revanche, évoquent Trump sous un angle différent. Quand ils découvrent que je suis Américain, ils ont ce regard dans les yeux, comme si nous étions à une réunion de parents d’élèves et qu’ils venaient de réaliser que j’étais le papa de ce gamin turbulent.
Et puis ils me demandent : « Allez, pourquoi as-tu choisi Trump ? ».
Ce n’est pas un « vous » collectif, on me demande plutôt pourquoi j’ai personnellement recueilli 300 millions de voix pour mettre ce type avec une cravate tachée de moutarde à deux dollars à la Maison blanche.
Quand un ami ici à Saint-Pétersbourg m'a posé cette question, j'ai dit : « Pourquoi les Russes posent-ils toujours la question de la sorte, comme si c'était moi qui l’avais mis au pouvoir ? Quand je rentre chez moi en Amérique et tout le monde vous accuse vous, les gars ».
Il a ri et a dit : « Après avoir tant parlé de choix et de démocratie, les Américains devraient se sentir individuellement responsables ; la plupart des pays n’ont pas le choix. Trump me donne l’impression que la majorité des électeurs américains sont sans instruction et de droite ».
Et en y réfléchissant, je ne voyais pas pourquoi il aurait dû penser différemment. Dans la plupart des pays du monde, les gens ne peuvent en effet pas choisir leur chef, et c’est une réalité acceptée : la politique est un jeu pour ceux qui ont assez d’argent pour y jouer. Mais, en propageant le processus démocratique lié au droit de vote de chacun (bien qu’il s’agisse d’une démocratie représentative), les États-Unis ont justifié des condamnations à un niveau individuel suite à l’élection de leur dirigeant. Cependant, au lieu d’accepter ces condamnations, les Américains les ont transférées sur le dos des Russes. Je leur ai donc demandé comment les Russes se sentaient à ce sujet et la réponse a été presque universellement précédée d’un éclat de rire. Ensuite, le plus souvent :
Ioulia, étudiante en architecture, 20 ans :
La manière dont Trump est décrit dans les médias en fait une sorte de clown politique amusant. C'est tout. Un drôle de gars riche et toujours en colère avec un mauvais coiffeur. En réalité, personne n’explique ni ne sait quel est son agenda politique et pourquoi il est si mauvais qu’il soit président. Mais on dit que le peuple américain ne l’aime pas beaucoup.
Mais je peux vous assurer que les Russes apprécient le fait qu'il ait été élu. La plupart des Russes le perçoivent comme une figure similaire à Poutine - un homme autoritaire et que le reste du monde déteste. Certains pensent même que Poutine a quelque chose à voir avec les résultats des élections.
« Les Russes s’en foutent ». Et de nombreux Russes ont ajouté : « C’est une blague, ce type ».
Un lecteur a répondu en citant les résultats d'une enquête universitaire menée en septembre 2016 auprès de 3 000 Russes âgés de 18 à 60 ans (1 674 hommes et 1 326 femmes). Elle montre notamment que moins de la moitié des Russes considèrent Trump comme un allié stratégique, et ce pourcentage est tombé à 17% deux ans plus tard. Dans le sillage des inclinations américaines au moment des élections, une légère majorité de personnes interrogées considéraient Trump comme un homme d’affaires ; quelqu'un qui détonnait avec le statu quo ambiant. Deux ans plus tard, les participants ont répondu comme suit :
Donald Trump est notre allié (17%)
Donald Trump est notre adversaire géopolitique (32%)
Donald Trump n'est pas intéressé par l'évolution des relations entre la Russie et les États-Unis (28%)
Difficile à dire avec certitude (23%)
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Un ami a résumé la situation en ces termes : « L’attitude envers Trump est positive sur le plan humoristique. C’est une nouvelle chose dont nous pouvons nous moquer gentiment et un autre signe que les Américains sont sur le point d’échouer en tant que nation, et que le président contribue à cet échec ».
J'ai demandé : « Oui, mais beaucoup de gens disent que Trump a travaillé avec la Russie et qu'il est trop proche de Poutine. Que pensez-vous de cela ? ».
Il a haussé les épaules et dit : « Trump est un clown. Plus drôle que Poutine. Trump est comme Will Smith dans Men in Black, tandis que Poutine, c’est son ami grincheux et sérieux ».
En tant qu’Américain, je peux dire que, quel que soit le rôle joué par la Russie dans l’ascension vers le pouvoir de Trump, ce n’est pas la Russie qui a fait de ce dernier un sexiste, un raciste ou un type aussi grandiloquent. Pourtant, tout ce que les Américains veulent savoir, c’est : « Trump a-t-il conclu une entente avec la Russie ? ». Comme si c’était le seul clou qui compte dans le cercueil de ce chapitre de l’histoire américaine…
Benjamin Davis est un journaliste américain, auteur de The King of Fu, vivant à Saint-Pétersbourg, en Russie, où il a passé une année à travailler avec l’artiste Nikita Klimov sur leur projet Flash-365. À présent, il rédige principalement des micronouvelles magico-réalistes au sujet de la culture russe, des mésaventures autodévalorisantes et des babouchkas, en partageant ses exploits par le biais de l’application Telegram.
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