« Il a dit : +Oui, ils m’ont enfermé dans une pièce plongée dans le noir, dans un placard… une ceinture+. Bon, Jenia [diminutif d’Evgueni] a un jour attrapé une ceinture et frappé un peu le postérieur de notre fils. Et quoi ? Mes parents avaient pour habitude de m’enfermer dans le noir, de me frapper avec une ceinture, et de m’interdire de sortir. Je ne suis pas un être humain décent ? », a déclaré en avril 2018, lors d’une interview, Iana Roudkovskaïa, femme du patineur artistique mondialement célèbre Evgueni Plushenko, laissant la journaliste bouche bée.
Un scandale divisant la société russe a alors éclaté, puisqu’elle avouait par là même que son fils de cinq ans, star montante du patinage, avait été honnête dans sa description à un journaliste des violentes méthodes utilisées par ses parents.
La plupart des Russes se rappellent avoir été frappés au moins une fois dans leur enfance. Pour beaucoup, ces instants parfois douloureux restent imprimés à vie dans leur mémoire.
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« Mon esprit peut encore recréer cette scène en détails. J’étais une petite fille et je me suis perdue au centre-ville. Ce dont je me souviens ensuite, c’est de ma mère, son visage couvert de larmes, une ceinture à la main. Elle était trop effrayée à l’idée de m’avoir perdue à tout jamais et m’a frappée fort avec la ceinture. Je peux me rappeler distinctement de ma sœur aînée tentant de me protéger », témoigne la Moscovite Elizaveta, 30 ans, qui élève à présent elle-même un enfant de cinq ans.
La fessée, la gifle et la ceinture restent des méthodes de punition très répandues en Russie. 37% des répondants à un sondage national datant de 2017 affirment qu’ils ont reçu des claques ou fessées de la part de leurs parents, et 27% admettent qu’ils font de même avec leurs propres enfants.
Les coups de ceinture sont si profondément enracinés dans la culture que pour beaucoup de Russes, cet innocent accessoire vestimentaire est inconsciemment associé à la punition.
Les adultes sont rarement enclins à révéler ce qui se passe derrière les portes fermées de leur foyer. Pourtant, certains avouent qu’ils ont recours à la force physique pour punir et éduquer leurs enfants, considérant que c’est un mal nécessaire.
« Mon mari refuse inconditionnellement la punition corporelle comme méthode, uniquement car il est tout le temps au travail et ne passe pas beaucoup de temps avec notre fille. Élever cet enfant est mon entière responsabilité et j’ai à atteindre certains résultats. Bien entendu, je me réserve le droit de donner des fessées occasionnelles, si elle devient hors de contrôle », avance Lioudmila, 43 ans, mère d’une fillette de 8 ans.
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Dans l’esprit de nombreux citoyens, « la méthode russe » d’élever les enfants accorde une certaine place à d’occasionnelles punitions corporelles employées contre ceux faisant preuve de désobéissance. « Mon époux pense qu’un garçon a besoin de ressentir la force physique et s’autorise à le gifler de temps à autre. Je ne partage pas sa vision. Je peux seulement serrer fort sa main pour lui faire savoir que je suis déçue », témoigne Elizaveta, évoquant son fils de 5 ans.
Or, son mari n’est pas une exception. En effet, près d’un tiers des Russes (32%) soutiennent le droit des parents à faire usage de la force physique pour punir leurs enfants, rapporte un sondage national conduit en 2017.
La vie dans une société où les parents risquent l’annulation de leurs droits suite à des actes de violence apparait tel un cauchemar pour beaucoup de Russes. Et les rapports télévisés participent à cet égard à créer une image distordue de l’impotence parentale face au système, dans les pays où la question des punitions corporelles est plus strictement réglementée qu’en Russie.
Ainsi, beaucoup ici ne dissimulent pas leur choc lorsqu’ils entendent parler de nations où une gifle occasionnelle ayant pour but de donner une leçon à un enfant est susceptible de faire l’objet d’une enquête officielle quant aux compétences des parents en question.
Certains ont en effet développé une vision bien rigide de ce qui est acceptable en matière de punition et de ce qui ne l’est pas. « Parfois, donner une tape sur les fesses, ça va. J’ai été frappée avec des pantoufles, des ceintures et d’autres objets, et rien n’est arrivé. Je suis en vie et en bonne santé, et éduquée. Je ne bats personne, mais donner une fessée à un enfant ce n’est pas le battre », indique par exemple l’utilisatrice Ekaterina, sur une publication Instagram soulevant la question de la punition corporelle.
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Nombreux défendent même ouvertement ces méthodes d’éducation. « Les pays occidentaux commencent à repenser leur approche de l’éducation maintenant, le système actuel ayant aidé à élever une génération d’adultes incapables de prendre pleinement la responsabilité de leurs actes, assure ainsi Olga, 50 ans, travaillant dans un lycée de Moscou. Ce n’est pas nécessaire de battre les enfants, mais il doit y avoir un juste milieu ».
Le temps met cependant au défi les vieilles coutumes parentales des Russes. Beaucoup de ceux se souvenant avoir reçu des fessées et des coups de ceinture dans leur enfance affirment qu’ils rejettent la moindre possibilité d’infliger une punition corporelle à leurs propres enfants.
« Je ne touche jamais à ma fille, soutient par exemple Ioulia, 40 ans, élevant une fillette de 2 ans à Moscou. Mais j’ai eu une approche complètement différente pour l’éducation de mon fils ainé : j’ai accouché de lui à 18 ans et il se rappelle de moi le frappant ».
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« Le monde change et nous changeons avec lui. Les choses qui paraissaient acceptables autrefois ne le sont plus aujourd’hui. Maintenant vous pouvez facilement trouver des livres décrivant en détails des méthodes parentales alternatives », ajoute-t-elle.
Si les plaies ne se referment jamais totalement, de l’eau coule en effet sous les ponts et le temps permet, lui aussi, de tirer des leçons. « Mon père me punissait sévèrement et régulièrement, se remémore Lioudmila, une profonde tristesse se reflétant dans ses yeux. Est-ce que je ressens de l’amertume ? Non, c’est du passé. Je ne suis plus une enfant ».
Autre sujet hautement polémique, la violence conjugale en Russie a fait les gros titres ces dernières années. Russia Beyond s’était penché sur la question.
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