« Salut les gars. Mon nom est Artiom Iskhakov et je veux vous raconter ce qu’il s’est passé cette nuit. J’ai tué ma colocataire. Et je l’ai ba*sée. Deux fois », c’est ainsi que commence la lettre décrivant le meurtre de Tatiana Strakhova, 19 ans. L’auteur est lui aussi décédé, puisqu’après avoir fini de rédiger ce message et l’avoir prépublié sur VKontakte (l’équivalent russe de Facebook), il s’est suicidé. La police a trouvé les deux corps dans l’appartement.
Strakhova étudiait au sein de la Haute école d’économie de Moscou, et partageait un appartement avec Artiom Iskhakov, inscrit quant à lui à l’Université technique d'État de Moscou-Bauman. Artiom et Tatiana étaient sortis ensemble il y a quelques années, et avaient fini par rompre, tout en continuant cependant à être amis. Selon la lettre d’Iskhakov, il « aimait » sa colocataire, mais cela n’étant pas réciproque il a cédé au désir et à la jalousie et a décidé de la tuer.
Le 22 janvier 2018, plus tôt dans la nuit, il a attendu que Tatiana rentre chez eux. À son retour, il l’a attaquée, la frappant au visage, l’étranglant et la poignardant finalement avec un couteau. D’après la lettre laissée derrière lui, il l’a également violée, alors qu’elle était en vie mais aussi après sa mort. Durant près de 12 heures il a ensuite rédigé sa lettre d’adieu, dans laquelle il mentionne de nombreux amis et connaissances, tout en prenant des pauses pour manger et dormir. Il a finalement mis fin à ses jours.
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Des psychiatres professionnels ont immédiatement constaté qu’Iskhakov avait des problèmes de santé mentale, se référant même à ses propres mots. « Son comportement rappelle celui d’un psychopathe : jalousie pathologique, volonté de dominer, fantaisies violentes dans le passé », a affirmé au site d’informations Lenta.ru Piotr Kamentchenko, candidat en sciences médicales. En effet, Iskhakov a confié avoir pensé à tuer quelqu’un depuis son enfance et s’être « coupé lui-même » pour se calmer.
Il a également précisé qu’il consultait un psychologue et un psychiatre et qu’il prenait des médicaments. Les spécialistes supposent donc que le traitement ne l’a pas aidé. « Si Artiom avait intégré un système psychiatrique approprié, lui et Tania (diminutif de Tatiana) seraient encore en vie », a rédigé dans une colonne du site Takié Dela Svetalana Bronnikova, une psychologue spécialisée dans le travail sur les traumatismes.
La folie présumée dont souffrait Artiom n’a pas empêché différents médias et internautes de se concentrer sur la personnalité de la victime. Ils ont alors débattu de la relation qu’elle entretenait avec Artiom, ainsi que de son mode de vie et de son comportement. Par exemple, la chaîne télévisée REN a publié la déclaration d’un ami anonyme d’Iskhakov, qui confie : « Je pense que c’est Tania qui a rendu Artiom comme ça … avec son indifférence [envers ses sentiments] ».
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Cela s’est empiré lorsqu’un média a publié des images que la jeune fille avait partagées sur Instagram et VKontakte. Sur plusieurs de ces clichés on la voit avec de l’alcool, des cigarettes (voire des joints), ou en sous-vêtements. Plusieurs journalistes ont alors considéré qu’il s’agissait d’une excuse appropriée pour juger la victime ou tout du moins pour démontrer sa part de culpabilité. « Tania Strakhova s’est avérée être moins innocente que ce que tout le monde pensait », écrit ainsi le site d’informations Dni.ru, la qualifiant de « victime potentielle » et suggérant qu’elle avait pu « provoquer » Artiom avec de telles photos.
En parallèle, de nombreux internautes ont laissé des commentaires critiques sur la page Instagram de Strakhova, qui était encore accessible le 26 janvier, la traitant de « salope » (voire pire), et avançant que son mode de vie avait entrainé sa mort violente.
Bien entendu, tout le monde ne trouve pas cette manière de penser appropriée. « La réaction envers le meurtre de Tatiana me donne le frisson : on en vient à ce que, même si tu te fais soudainement brutalement assassiné, beaucoup verront cela comme une fin méritée. Seulement parce que tu avais des photos d’alcool ou d’un sex-toy sur ton Instagram », s’est par exemple insurgée la bloggeuse Daria Andreïevna sur le site Wonderzine.
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Nombreux sont ceux à rejoindre cet avis. Peu après cela, Anastasia, une bloggeuse de Minsk a débuté un flashmob sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #этонеповодубить (« ce n’est pas un prétexte pour tuer »).
À l’aide de ce hashtag, d’autres personnes (majoritairement des femmes) ont publié leurs photographies plus ou moins explicites pour prouver que montrer son corps n’est pas une provocation ou une raison pour tuer. Les clichés dénudés ne sont pas obligatoires, certaines se contentent de peintures ou d’ajouter le hashtag à leurs publications Facebook.
Voici quelques exemples de leurs interventions :
« Tout le monde a un corps sous ses vêtements, certains le montrent. Ce n’est #pasunprétextepourtuer quelqu’un. Rien n’est une raison pour tuer ».
« Les gens, qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez vous ? Pourquoi pensez-vous qu’une victime peut-être blâmée ? »
« Permettez-moi de vous rappeler qu’une fille peut publier des photos érotiques et que ce n’est pas une raison pour tuer. Elle peut vous rejeter et ce n’est pas une raison pour tuer. Vous pouvez ne pas l’aimer et ce n’est pas une raison pour tuer. Elle peut boire, fumer et mener son propre mode de vie et ce n’est pas une raison pour tuer. Rien ne l’est ».
Cette affaire a suscité beaucoup de réactions, notamment dans les rangs des défenseurs des droits des femmes. Russia Beyond vous propose un état des lieux du féminisme en Russie, 100 ans après son apparition.
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