« En 1913, lors de la construction de notre immeuble, celui-ci était l'un des premiers bâtiments de Moscou à toit plat. À différents moments, ce toit a été l'endroit idéal pour accueillir un restaurant populaire, une piste de danse, un cinéma… , explique Guennadi, un résident de l’immeuble Nirnsee. Pendant la guerre, un canon antiaérien y a été installé et un sentinelle y montait la garde - ce toit était un point idéal pour les tirs et assurer la surveillance ».
Le toit de l’immeuble Nirnsee est probablement la partie la plus célèbre du bâtiment. Mais il est connu pour d’autres raisons, notamment parce qu’il a été qualifié de « premier gratte-ciel de Russie ». Bien que ce ne soit pas vraiment le premier au sens strict…
Un « gratte-ciel » a vu le jour pour la première fois à Moscou avec la construction de la maison Afremov (Sadovaïa-Spasskaïa, 19/1) haute de huit étages. Les Moscovites prudents évitaient de se promener à proximité par peur qu’elle ne s'effondre. C’est le premier bâtiment à avoir obtenu le surnom de « briseur de nuages », ou plus précisément de « coupeur de nuages » (« toutcherez » en russe).
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Mais l'architecte Ernst Nirnsee avait des projets ambitieux et voulait réaliser la construction du plus haut bâtiment de Moscou : neuf étages et un niveau supplémentaire, un toit accessible de plus de 40 mètres. Nirnsee a acheté un terrain au centre-ville, près de la rue Tverskaïa, au N°10 de la ruelle Bolshoï Gnezdnikovski. La mairie de la ville, préoccupée par des questions de sécurité, a suggéré de raccourcir l’immeuble d’un étage, mais Nirnsee a défendu bec et ongles son projet. Il avait un intérêt commercial évident à construire et à vendre plus d'appartements.
Nirnsee a initialement conçu un immeuble d'appartements pour célibataires et petites familles. Les appartements ici étaient moins chers, mais plus petits. Un système de couloirs a été utilisé, avec des appartements de 27 à 48 mètres carrés, placés comme des cellules de chaque côté d’un couloir. Les appartements n’avaient pas de cuisine : Nirnsee pensait que, les célibataires cuisinant rarement, ils préféreraient aller au restaurant. À chaque étage, il y avait un lieu destiné à un majordome qui commanderait de la nourriture pour les locataires. Des « armoires » pour aspirateurs ont également été installées : le tuyau de l’aspirateur était raccordé à une armoire avec un trou dans le mur doté d’une puissance d’aspiration, de sorte que les locataires n’avaient pas besoin d’appareils comme ceux que l’on connaît de nos jours. Mais la plus grande nouveauté était le toit plat.
C'était le premier toit plat de la ville et la vue qui s’y offrait était à couper le souffle. « Pouvez-vous y croire, mais je ne peux pas me lasser de cette vue de Moscou », a déclaré Nirnsee lui-même en 1913. Même mes ouvriers montent ici pendant leurs jours de congé et restent ici en contemplation pendant des heures... ».
Le toit ne servait pas uniquement à la contemplation, il était également destiné à diverses activités : il hébergeait une cantine pour les habitants, une terrasse d'observation, une salle de cinéma et même une patinoire. Les journaux ont annoncé que le toit était un « lieu avec de l’air de la montagne » en raison de sa hauteur révolutionnaire.
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« Je me souviens que ce toit ressemblait beaucoup à une maison. Des pots de fleurs, des balançoires pour enfants, des barres transversales pour battre les tapis… Il y avait même un pont d’une partie du toit à l’autre - nous roulions en bicyclette au-dessus de la rue, à 40 mètres du sol, se souvient Guennadi. Et nous jouions au football ici sur le toit, entre les deux puits de ventilation. Parfois, la balle tombait et nous parcourions des kilomètres pour la retrouver. Les ballons étaient rares en ce temps-là ! ».
Alors que la Révolution faisait rage en 1917 et 1918, la maison était tenue par l'armée blanche. Le toit était un important point de tir contre les bolcheviks. Après la victoire, le nouveau gouvernement a cédé la maison au Mossovet (hôtel de ville de Moscou), qui l'a transformée en appartement. Depuis lors, la maison a été étrangement surnommée « Tchedomos » (Tchetverty Dom Mossoveta, la quatrième maison du Mossovet). Les petits appartements convenaient très bien aux pauvres des premiers temps de l’ère soviétique, qui ne pouvaient pas se permettre de grands appartements.
Outre des appartements, l’immeuble abritait également le Théâtre de la Satire de Moscou, un restaurant artistique appelé Chauve-souris, ainsi que les rédactions de divers magazines et journaux fréquentés par des écrivains célèbres.
Konstantin Kedrov, un poète qui habite dans la maison, a déclaré: « David Bourliouk, célèbre poète avant-gardiste, vivait au 2e étage et de nombreux poètes séjournaient chez lui. Vladimir Maïakovski se rendait souvent au 7e étage, où vivait Sonia Chamardina, sa fiancée… Dans les années 1980, des ouvriers trouvèrent un morceau de papier où étaient notés des vers mentionnant le nom de Maïakovski. Ce sont des vers de Sonia dédiés au poète, mais il ne les a apparemment jamais lus ». Maïakovski aurait voulu épouser Sonia, mais son ami Tchoukovski l’a traité en public de coureur de jupons et Chamardina a finalement quitté Maïakovski.
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Un autre écrivain célèbre a rencontré l'amour de sa vie ici. C'était Mikhaïl Boulgakov. Elena Chilovskaïa, son épouse, a raconté: « En 1929, des amis m'ont invité à faire des blinis. Je ne voulais pas y aller, mais ils m'ont dit que Boulgakov serait là. Quand j'y suis allée, nous nous sommes retrouvés assis l'un à côté de l'autre. J'avais des cordons sur la manche et je lui ai demandé de m’aider à les nouer. Plus tard, il a dit que c'était de la sorcellerie, que je l'avais attaché à moi pour le restant de nos jours… C'était rapide, très rapide, du moins de mon point de vue, l'amour pour toute une vie ».
« Oui, l’amour nous a frappés momentanément, a rappelé Boulgakov. Nous avons parlé comme si nous nous étions vus la veille ; comme si on se connaissait depuis des années. Et bientôt, cette dame est devenue ma femme secrète ».
Elena Chilovskaïa est devenue le principal modèle de Margarita dans le classique intemporel de Boulgakov Le Maître et Marguerite - nous devons donc remercier pour cela la maison Nirnsee.
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