En décembre 1908, après avoir été brièvement hébergé chez un camarade de l’Iskra, une cellule communiste du Parti, résidant au 3, rue de l'Estrapade dans le 5ème arrondissement de Paris, et loué une chambre à l’Hôtel des Gobelins, sur le boulevard Saint-Marcel, Lénine s’installe à quelques centaines de mètres de là, au 24, Rue Beaunier, dans le 14ème. Il partage alors un appartement avec sa femme, Nadejda Kroupskaïa, sa sœur, Maria (qui étudiait dans la capitale française), et sa belle-mère, Elizaveta.
Le logement est composé de 4 pièces de vie, d’une cuisine, de nombreux placards, d’un garde-manger et peut être considéré comme bourgeois, de somptueux miroirs ornant notamment les cheminées. Il se situe par ailleurs à deux pas du parc Montsouris, que Lénine apprécie tant parcourir. Le révolutionnaire et sa famille versent ainsi près de 80 francs par mois, taxes et don à la concierge compris. À sa sœur ainée Anna, Lénine écrira à ce propos la chose suivante : « C’est cher pour Paris, mais l’endroit est spacieux et avec un peu de chance nous devrions y être à notre aise ».
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Ne manifestant cependant pas une attirance particulière pour le luxe et se contentant d’une simple table, d’une chaise et d’un endroit pour entreposer ses livres, il laisse volontiers les tâches du quotidien aux femmes qui l’entourent, comportement dont se plaindra d’ailleurs Kroupskaïa dans ses mémoires. Un sentiment renforcé en outre par le fait que, maîtrisant peu le français, elle peine à faire face aux harassantes démarches administratives locales.
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Le couple mène néanmoins une vie active et fréquente les bars, cafés et restaurants des environs, tant pour le plaisir que dans le but d’élaborer ses plans révolutionnaires. Le Café du Lion, du 5 avenue d'Orléans (aujourd'hui avenue du Général Leclerc), est à ce titre l’un des favoris de Lénine, qui y organise régulièrement des réunions de la fraction bolchévique du POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie). Ironie du sort, cet établissement a aujourd’hui été remplacé par un McDonald’s, éminent symbole du capitalisme.
Leur appartement est également un lieu de passage important pour les acteurs du mouvement révolutionnaire russe, des personnages qui contrastent toutefois quelque peu avec le voisinage et l’esprit chic du quartier. La concierge en viendra d’ailleurs à exprimer ses inquiétudes face aux allées et venues de ces étrangers aux souliers sales, aux manières désinvoltes et aux obscures activités. « Tous des nihilistes… Ça finira par nous amener du vilain ! », se serait-elle-même exclamée auprès du propriétaire des lieux.
L’appartement de la rue Beaunier a cependant un inconvénient, et non des moindres : un vent glacial y pénètre par les conduits de cheminées, que le charbon de piètre qualité qu’ils utilisent n’arrive pas à réchauffer. Aussi, après un hiver et un printemps des plus rudes, qui les a même poussés à passer leurs soirées dans des cafés à la température plus clémente, Lénine et ses proches décident de déménager.
Alors que Maria retourne en Russie, Vladimir, Nadejda et Elizaveta choisissent, après quelques semaines de repos dans la commune de Bombon, en Seine-et-Marne, de s’établir dans le 14ème arrondissement, au 4, rue Marie-Rose. Ils emménagent donc le 6 juillet 1909 dans cet appartement de 48m², situé au 2ème étage. Là aussi l’ameublement est sommaire : une grande table en bois brut et recouverte d’une toile cirée noire fait office de bureau, on y trouve également une chaise, un canapé relativement large et deux lits en fer d’une place.
Après leur avoir rendu visite, l’écrivain Maxime Gorki dira même que cela s’apparentait plus à un logement étudiant qu’à un appartement familial. Une austérité due notamment au manque de décoration, à l’exception des occasionnelles fleurs sauvages que Lénine rapporte de ses escapades campagnardes à bicyclette.
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Le vélo occupe en effet une place importante dans la vie parisienne du révolutionnaire. Un beau jour, alors qu’il est en chemin pour l’aérodrome Port-Aviation de Viry-Châtillon, considéré comme le premier au monde, il est percuté par une automobile au volant de laquelle se tient un vicomte. Le véhicule prend la fuite mais Lénine parvient à noter son numéro d’immatriculation et porte plainte. Après s’être fait dédommager, il se rachète une bicyclette, la précédente n’ayant pas survécu à l’accident. Passionné d’aviation, il décide finalement de se remettre en route pour l’aérodrome. Chevauchant son deux-roues, il aperçoit alors un avion dans le ciel, lève les yeux, et percute un autre cycliste. Tous deux finissent dans le fossé, endommageant par la même occasion leur vélo.
Bibliothèque nationale de la rue Richelieu
Valery Gende-Rote/RIA NovostiC’est également à bicyclette que Lénine se rend plusieurs fois par semaine à la Bibliothèque nationale de la rue Richelieu. Bien que fortement agacé par le temps d’attente pour la réception d’ouvrages, il y mène d’intenses recherches depuis son arrivée dans la capitale française, travaux nécessaires à la rédaction des œuvres et revues qu’il fait imprimer à Paris. C’est là qu’il se fera d’ailleurs voler son vélo, qu’il a l’habitude de laisser dans la cour d’un immeuble voisin, sur autorisation de la concierge.
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Dans son appartement, Lénine reçoit la visite régulière des révolutionnaires russes Julius Martov et Grigori Zinoviev. Parmi ses proches relations se trouve aussi une certaine Inès Armand. Née en France, cette femme a très tôt été recueillie par sa tante, gouvernante d’une riche famille à Moscou. Elle a ensuite pris part à de nombreuses activités révolutionnaires, avant de revenir à Paris. Lénine s’éprend rapidement de la jeune femme et une romance se dessine alors entre eux deux. Il en vient même à louer le n°2 de la rue pour Inès, qu’il considère comme son grand amour et une proche camarade de lutte.
Vue sur l'ancien Musée Lénine, au 4, rue Marie-Rose, ouvert le 27 avril 1955 et racheté depuis par le Parti Communiste français. Lénine y a vécu de juillet 1909 à juin 1912.
Valery Gende-Rote/RIA NovostiAprès avoir été transformé en musée, que visiteront Khrouchtchev et Gorbatchev, le 4, rue Marie-Rose appartient aujourd’hui au Parti Communiste français et abrite la rédaction de la revue littéraire de gauche « Europe ».
Plus tard, au début de l’année 1911, Lénine et ses camarades bolchéviques nourrissent l’ambition d’ouvrir à Paris une école qui aurait pour mission de former les futurs cadres du Parti. Afin d’échapper à l’Okhrana, la police politique secrète de l’Empire russe, qui dispose d’agents à travers l’Europe toute entière, ils font le choix de s’établir dans une petite commune de l’Essonne, au sud de Paris : Longjumeau, un important carrefour routier et ferroviaire.
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C’est en mars que l’école ouvre ses portes au 17, Grande Rue (aujourd’hui nommée rue du président François Mitterrand), au fond d’une cour, dans l’atelier de menuiserie d’un certain Léon Duchon. Y sont ainsi enseignés à 17 élèves venus de tout l’empire les bases du marxisme, la philosophie, le droit ou encore l’économie politique. Afin d’héberger ces futurs leaders, qui se font ici passer pour des instituteurs russes en séminaire, Inès Armand loue une partie de la maison attenante auprès de monsieur Maire, un fabricant de moutarde.
L'atelier de la ville de Longjumeau, au sein duquel les bolcheviks menés par Lénine ont en 1911 fondé une école pour la formation des futurs cadres du Parti.
Valery Gende-Rote/RIA NovostiVladimir, Nadejda et Elizaveta résident quant à eux au 91 de la rue, qui a pour avantage de disposer d’une issue de secours, utile en cas de visite de l’Okhrana. Pour l’anecdote, un restaurant de spécialités turques a depuis ouvert au rez-de-chaussée du bâtiment et a été baptisé « Lénine Kebab », clin d’œil à l’histoire singulière des lieux.
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