Russia Beyond : Pourquoi selon vous la cuisine russe n’est-elle pas aussi populaire que la française, l’italienne ou la japonaise dans le monde ?
Vladimir Moukhine : Parce qu’il y a autour de la cuisine russe beaucoup de stéréotypes, qui ont vu le jour durant la période soviétique. Et encore aujourd‘hui il y en a un, selon lequel la cuisine russe est très lourde, grasse, riche, et ma mission en voyageant à travers le monde est de prouver que ce n’est pas le cas.
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L’attitude à l’égard de la cuisine russe est-elle en train de changer ?
Elle change incontestablement. Bien entendu, il manque encore une génération pour tout changer. Nous nous trouvons actuellement dans un moment clef, où nous pouvons modifier quelque chose dans notre pays et dans le rapport à notre pays. La nourriture est ce qui rassemble, et elle est toujours en dehors de la politique.
Dans beaucoup de vos interviews vous avez parlé des produits régionaux russes. Lesquels mettriez-vous en avant ?
Le pain noir, le chou fermenté, les concombres salés, les baies d’obier et de sorbier, le gibier. La cuisine russe est très saisonnière. L’automne nous chassons, et puis il y a également les fêtes rituelles, telles que Maslenitsa, qui sont restées depuis l’époque païenne. Aujourd’hui la Russie est majoritairement chrétienne, et cela a une forte influence sur ce que nous mangeons. Nous avons quatre jeûnes, que les gens commencent à suivre, c’est-à-dire que nous revenons à nos racines.
Vous revenez tout juste du Japon, où vous avez organisé des diners de dégustation dans le cadre du festival Les saisons russes. Quels plats japonais sont devenus pour vous incontournables ?
J’ai une histoire intéressante en relation avec un plat japonais : le daifuku. J’étais avec des journalistes dans l’hôtel parisien Shangri-La, où se trouve un restaurant chinois comptant plusieurs étoiles Michelin. J’y ai goûté du daifuku et j’ai eu envie d’apprendre à le préparer.
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Une fois arrivé à Moscou, j’ai longtemps tenté de trouver cette recette de la cuisine chinoise, vu que c’était un restaurant chinois, mais ne l’ai pas trouvée. Ensuite je suis allé au Japon et ai à nouveau goûté ce plat dans le supermarché Midzukosi. Le jour suivant, j’y ai amené un traducteur et ai noyé de questions les cuisiniers locaux. On m’a alors fait enfiler une tenue adéquate et entrer dans la cuisine, puis 5 personnes m’ont montré comment préparer ça. Je suis rentré à Moscou et ai cuisiné ce plat, dans le restaurant Zodiac il s’appelle « vagassi moti ». Nous avons pour idée d’ouvrir un établissement spécialisé dans ce met à Moscou, nous y réfléchissons pour le moment. Sinon, parmi les autres plats, il y a les sushis, sobas et rāmens.
Comment évaluez-vous l’état de la cuisine russe et quelles sont les étapes que vous souligneriez dans son développement ?
Je suis pour le fait de cuisiner les plats de sa gastronomie nationale et d’essayer de la changer. Ce qui se produit actuellement, c’est la formation de la cuisine russe, une évolution, je veux y croire.
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De manière générale, la cuisine russe se divise en trois étapes. Avant Pierre le Grand et l’arrivée des étrangers en Russie ce sont les serfs qui étaient cuisiniers, et ils ne savaient pas toujours lire, écrire. Du coup, très peu d’informations sont parvenues à nous, il n’y a aucun livre, aucune recette. Il y a seulement la description des banquets de cette époque, et ces représentations ont souvent été réalisées par des étrangers, qui venaient en Russie, observaient et notaient que les Russes sentaient l’ail et le brûlé. La Russie était sauvage, mais a été conservé un certain particularisme russe, qui s’est simplifié durant la période soviétique.
L’époque de Pierre le Grand, puis celle de Catherine II qui a suivi, ont été des périodes où la gastronomie russe a été fortement influencée par les chefs étrangers, qui s’installaient dans les cuisines des riches demeures. Allemands, Hollandais, Français … dans beaucoup de plats, que nous mangeons encore aujourd’hui, nous ressentons leur influence.
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L’étape suivante intervient après l’abolition du servage. Cuisiner n’avait jamais été populaire en Russie, c’était un travail ingrat. C’est d’ailleurs pourquoi on destinait à cette activité les serfs qui n’étaient pas en mesure de travailler au champ ou n’étaient pas aptes au service militaire. Et voilà qu’après 1861 les serfs ont commencé à quitter les maisons des riches, et ceux-ci ne savaient pas cuisiner. À cette époque sont donc apparus les livres de cuisine d’Ekaterina Avdeïeva, et le livre d’Elena Molokhovets, intitulé « Cadeau aux jeunes maîtresses de maison ». C’est une période où l’on essayait de réécrire les recettes russes à la mode française.
Enfin, durant l’ère soviétique, la nourriture s’est simplifiée et est devenue uniforme, moyenne, comme le citoyen idéal de l’époque. Il était ainsi plus pratique de gérer les processus de préparation de la nourriture, de gérer les gens. Tous cuisinaient selon un seul livre, une standardisation s’est alors produite.
Pour se représenter ce qu’est la cuisine russe, il faut creuser plus loin que la période soviétique. La gastronomie de l’époque soviétique est particulière : très grasse et lourde. Elle ne m’intéresse absolument pas.
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Les restaurants russes ont-ils actuellement le potentiel pour ouvrir des établissements en France ?
Selon moi, oui. Nous avons mené deux diners en France, et je n’ai eu aucun retour de la part des convives me disant : « Non, nous ne comprenons pas ce que c’est ». Or avant, lorsque je cuisinais à l’étranger beaucoup me demandaient : « Mais où est le bortsch ? Où sont les pirojki ? ». Je comprenais que je ne faisais pas ce qu’il fallait. J’étais un jeune chef, je voyageais et cuisinais de la gastronomie de style moderne. Maintenant j’essaye de saturer ma cuisine de saveurs entièrement russes.
Par exemple, j’ai un plat avec de la coquille Saint-Jacques, qui s’appelle « Okrochka », je fais mariner la coquille Saint-Jacques dans un jus de framboise et la sers avec des tomates vertes salées [en Russie il y a des régions où, en raison du climat, les tomates ne mûrissent pas complétement, ndlr], je mélange de la crème fraiche avec de la racine de raifort. Tu fermes les yeux et tu ressens à 100% le goût de l’okrochka [une soupe froide traditionnelle d’Europe de l’Est]. Il faut saturer la cuisine en saveurs russes, tandis qu’en apparence elle doit sembler venir tout droit du futur. La cuisine, que nous préparons, peut être servie dans n’importe quel point du monde. Je suis sûr qu’elle y aura du succès.
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Nous disposons déjà du restaurant Selfie à Astana, au sein de l’hôtel Ritz Carlton, et du restaurant Crab Market à Dubaï. Nous sommes ouverts aux propositions.
Quels sont les 5 plats qu’il faut goûter pour comprendre le goût et la cuisine russes ?
Les concombres salés marinés, le pain de seigle noir, peut-être le pain de Borodino, c’est de l’histoire plus contemporaine. En hommage à la bataille de Borodino on y rajoute de la coriandre, qui symbolise la mitraille. Le chtchi gris [une soupe] à base de chou fermenté, l’okrochka avec du kvas et en dessert on peut opter pour le medovik.
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