Agronom Sad
Archives personellesIl fut un temps où le village de Lebedian dans la région de Lipetsk, riche en terres fertiles, comptait 14 exploitations arboricoles. Seules deux ont survécu aux années 1990, qui ont ravagé le secteur agricole.
« Dans les années 90, les affaires ont commencé à changer de main et l’instabilité s’est installée. Nous n’étions pas payés pendant des mois, relate Alexeï Tolstov, chef-agronome d’une exploitation qui s’est maintenue. L’exode rural a commencé. Ceux qui sont restés n’ont résisté que parce qu’ils avaient le feu sacré ».
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Aujourd’hui, Agronom Sad, où Alexeï travaille depuis 25 ans, est une l’exploitation arboricole modèle : les pommiers sont soigneusement taillés par des ouvriers en tenue de travail impeccable et des filets anti-grêle protègent les arbres récemment plantés, donc encore fragiles. La renaissance a commencé il y a deux ans, après le rachat de l’entreprise par une investisseuse locale.
Taille des pommiers. Crédit : Agronom Sad
Depuis, l’entreprise, auparavant spécialisée principalement dans la vente de pommes aux fabricants de jus et compotes, s’est tournée vers le marché du frais. De nouvelles sortes de pommiers, plus attractives pour la clientèle de détail, ont été plantées et les recettes ont triplé pour atteindre 6,5 millions d’euros, indique le directeur délégué d’Agronom Sad, Bruno Marmet, Français arrivé dans l'entreprise en 2014. L’embargo ? Il a évidemment favorisé la réduction de la concurrence, concède-t-il mais il serait erroné de compter sur sa poursuite ad vitam aeternam.
À l’assaut du marché du frais
« Agronom Sad, c’est 1 000 hectares de vieux vergers et nous plantons 500 hectares de nouveaux vergers intensifs qui devraient donner une fois et demi plus que nos 1 000 hectares », confie M. Marmet. Objectif immédiat ? Remettre en état les anciens vergers et cultiver de nouvelles variétés de pommes, principalement rouges, importées de Canada et des États-Unis, dont Red Chief et Honey Crisp, dont le réchauffement climatique a rendu la culture en Russie possible. Bruno Marmet espère qu’en suivant ce rythme, l’entreprise pourra d’ici deux ans « attaquer le marché avec des vraies pommes ».
Alexeï Tolstov précise de son côté que, « à titre expérimental, de nouvelles variétés sont également greffées sur une partie des anciens arbres ce qui permettra d’obtenir un rendement à moindres frais ».
Spécialisée principalement dans la vente de pommes aux fabricants de jus et compotes, s’est tournée vers le marché du frais. Crédit : Agronom Sad
La stratégie de Bruno Marmet repose sur une attention exhaustive et méticuleuse à la moisson, de la taille des arbres en hiver à la récolte soigneuse des fruits à la main et à l’emballage délicat dans des boites en carton. En deux ans, la compagnie est parvenue à faire en sorte que 80% de ses pommes prennent le chemin des magasins d’alimentation. Les produits d’Agronom Sad sont vendus par les enseignes Lenta, Magnit, Auchan et sont également achetés par les distributeurs. M. Marmet n’envisage pas d’élargir la liste de magasins. « Si je dois travailler avec 15 chaînes, je vais leur fournir trois camions par an et ne serai pas remarqué. Il vaut mieux travailler avec trois chaînes et fournir des milliers de tonnes à chacune », explique-t-il.
Agronom Sad a également des projets d’expansion géographique. M. Marmet a indiqué qu’à titre d’essai, la compagnie plantera 1 hectare de variétés de pommiers résistantes au froid en Khakassie (sud de la Sibérie centrale). Avec le réchauffement climatique, ces variétés pourraient s’acclimater dans cette région de Sibérie. En effet, la compagnie vend 25–30% de ses produits en Sibérie et, en s’y installant, pourrait réduire considérablement les frais de transport.
Des conditions différentes
Bruno Marmet explique que dans le domaine de l’arboriculture, où le cycle de production se déroule sur toute l’année, la résolution des problèmes se fait sur la durée et revient cher. La particularité de l’industrie agricole russe apporte, elle aussi, son lot de difficultés. « Il y a beaucoup de projets agricoles en Russie dont le modèle a été bien pensé au départ. Trop souvent, les consultants étrangers auxquels on fait appel font du "copier-coller" à partir de ce qui se fait en Europe, où les prix du foncier, de l’eau et de l’énergie sont élevés et où l’on recherche du super-intensif, explique le directeur, qui a sept années d’expérience dans le secteur. En Russie, où il y a tout ce qu’il faut pour le développement de l’agriculture », le modèle intensif ne convient pas : les conditions climatiques sont différentes et il n’y a pas de tradition agraire forte, ni de transmission héréditaire du savoir-faire, estime M. Marmet.
Le facteur humain
Le directeur délégué d’Agronom Sad estime que l’arboriculture en Russie repose principalement sur le travail efficace avec le personnel – il faut savoir « bien gérer ses troupes, ses brigades, son programme de travail ».
À peine arrivé à son nouveau poste, M. Marmet s’est fixé pour objectif de mettre fin à la rotation du personnel, car un arbre pousse mieux s’il est entretenu par la même personne. « Quand un ouvrier laisse une branche, l’année suivante il sait pourquoi il l’a fait. Avec la rotation du personnel, cet accompagnement n’existe pas et l’arbre est soumis à un stress permanent », explique-t-il. Pour assurer cet accompagnement, il fallait avant tout créer des conditions de travail qui ne feraient pas fuir les travailleurs. Le nouveau directeur a choisi une double approche.
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D’une part, il a mis en place une discipline stricte dans l’entreprise : M. Marmet explique que les gens doivent être conscients de leur responsabilité et prendre leur travail au sérieux. Les erreurs du personnel peuvent leur valoir leur poste, affirme sans détour le directeur, qui participe personnellement à la sélection du personnel.
D’un autre côté, il fait ce qu’il faut pour motiver son équipe en lui garantissant une rémunération adéquate. Les salariés sont payés en temps et en heure ; ils bénéficient par ailleurs de repas gratuits et de plusieurs avantages sociaux.
« Tout a été fait pour que nous puissions travailler normalement. Nous avons retrouvé la stabilité. Au début, à la suite de mauvaises expériences, les gens que nous pouvions recruter avaient des doutes, mais un an plus tard, ils sont venus travailler pour nous », commente Olga Dobrovolskaïa, qui travaille chez Agronom depuis 37 ans.
Pour démontrer que l’exploitation offre des perspectives, Bruno Marmet mentionne, non sans fierté, que le fils du chef-agronome Alexeï Tolstov et sa fiancée, qui habitent actuellement à Moscou, envisagent de rejoindre l’entreprise et de s’installer à la campagne. Ce sont peut-être les premiers signes d’une renaissance de la paysannerie russe, voire d’une inversion de l’exode rural…
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