L’idée de construire un avion de ligne capable de traverser le mur du son est née dans la tête de Nikita Khrouchtchev en 1961 pendant un spectacle de voltige aérienne. Dans les airs, le leader soviétique a pu admirer les bombardiers Tu-22 et a déclaré à Andreï Tupolev, le légendaire constructeur d’avions soviétique : « Andreï Nikolaïevitch, pourrait-on transporter des passagers à la place des bombres ? ».
Il s’avère que le célèbre constructeur était déjà en train de travailler sur un nouvel avion susceptible de révolutionner l’avionique soviétique. Mais le problème est que les ingénieurs britanniques et français s’étaient déjà lancés dans la construction du Concorde, un nouvel avion qui prouverait la supériorité de l’Occident dans le domaine aérien. Les Soviétiques ne pouvaient pas ne pas réagir.
En juillet 1963, les ingénieurs soviétiques ont compris que la pression sur leurs épaules était très forte suite à la publication d’un décret commandant à Tupolev de construire et de tester un nouvel avion le plus vite possible. Pour Khrouchtchev, il en allait du prestige du pays et le Parti a demandé à ce que l’avion soit prêt pour la fin de l’année 1968. « La pression se faisait toujours plus forte. La tension est montée d’un cran [entre les ingénieurs] à l’approche du Nouvel An. Volera-t-il ou non ? », se souvient Vladimir Vul, un des concepteurs.
Tout était finalement fin prêt, et le ciel s’est finalement dégagé le 31 décembre 1968, jour de la deadline fixée par le Parti. En dépit des conditions météo, le premier essai en vol a été un succès, ce qui les autorités se sont empressées de communiquer. La célébration du premier vol du Concorde a eu lieu en mars 1969, mais il était important aux yeux du Kremlin que ce succès occidental survienne trois mois après le vol du prototype soviétique.
Crédit : Boris Korzin/Global Look Press
D’autres tests ont suivi et l’avion a été jugé suffisamment fiable pour pouvoir accueillir des passagers à son bord. Le 1er novembre 1977, l’avion a décollé de Moscou et atterri à Alma-Ata, dans la République socialiste soviétique du Kazakhstan, après avoir parcouru plus de 3 200 km en deux petites heures seulement. Aucun des passagers n’était au courant du fait que la décision d’effectuer ce vol présentait de nombreux risques : la qualité de l’appareil s’est avérée bien moindre qu’escompté.
« Les pilotes avaient pour habitude de dire que voler avec un Tu-144 revenait à embrasser un tigre », se souvient Vladimir Potemkine, qui dirigeait le Département des vols du ministère soviétique de l’aviation civile. Si l’aéroport d’Alma-Ata avait refusé l'atterrissage et que celui de Tachkent avait été fermé pour une raison quelconque, les pilotes auraient été livrés à eux-mêmes avec un avion qui arrivait à cours de carburant et sans possibilité d’atterrir.
Crédit : Yuriy Ivanov/RIA Novosti
Un an plus tard, en 1978, les ingénieurs soviétiques ont testé de nouveaux moteurs sensés prolonger l’autonomie en vol de l’avion. Le Tu-144 nouvellement équipé s’est écrasé, tuant les deux ingénieurs qui étaient aux commandes. Non satisfaits de la rentabilité de l’appareil, les autorités soviétiques ont utilisé le crash comme prétexte pour stopper les vols commerciaux du jet supersonique.
Le Concorde, quant à lui, a volé encore deux décennies. Mais aucune compagnie aérienne n’était prête à payer 350 millions de dollars pour s’offrir un tel avion et les douze appareils ont été cédés gratuitement à Air France et à British Airways. La catastrophe de 2000 sera finalement fatale au Concorde : le jet supersonique s’est écrasé alors qu’il venait tout juste de décoller de Paris, tuant ses 113 passagers.
La fin de la guerre froide mettra finalement un terme aux projets trop coûteux et peu rentables : le Tu-144 et le Concorde, fierté de l’Union soviétique et triomphe de la coopération franco-britannique, ont pris leur retraite. Ils servent désormais de musées ou de monuments.
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