Comment un maréchal nazi s’est recyclé dans la propagande soviétique

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Friedrich Paulus (1890 - 1957), qui commandait l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, a été capturé en 1943 après avoir perdu la bataille de Stalingrad. Les autorités soviétiques le persuadèrent de rompre avec Hitler et de travailler comme propagandiste chargé de diffuser les idées de Moscou.

En janvier 1943, la défaite du Troisième Reich à l’issue de la légendaire bataille de Stalingrad était patente. La bataille épuisante, qui marqua un tournant de la Seconde Guerre mondiale, avait duré plus de six mois (à partir de juillet 1942). L'URSS perdit plus d'un million de soldats, l'Allemagne – 950 000. La 6e armée, sous la direction du colonel général Friedrich Paulus, était encerclée, et il ne restait que quelques jours avant la défaite.

Dans ces conditions, Adolf Hitler a accordé à Paulus l'une des plus grandes récompenses du Reich en le promouvant au rang de maréchal de campagne (feldmarschall). Dans son dernier télégramme, le Führer faisait une allusion sans ambiguïté : « Aucun feldmarschall allemand n'a jamais été capturé ». Hitler s’attendait à ce que Paulus, encerclé, se suicide. Mais le maréchal choisit la vie et se rendit le 31 janvier 1943.

Les Allemands contre Hitler

Pour Moscou, la capture de Paulus n’était pas importante uniquement en termes de prestige. Après l'attaque allemande contre l'URSS, les autorités soviétiques, soutenues par les communistes allemands qui avaient émigré en URSS dans les années 1930, après l’arrivée au pouvoir des nazis, ont tenté de créer une organisation antifasciste avec les prisonniers de guerre.

Après la bataille de Stalingrad, qui a sérieusement ébranlé la foi des Allemands dans la victoire, plus de 91 000 anciens soldats de la Wehrmacht ont été capturés – cela constitua une condition favorable au « lancement » d'une telle organisation. Tout d'abord, le Comité national Allemagne libre fut créé en juillet 1943, suivie de l’Union des officiers allemands sous la direction du captif général Walther von Seydlitz-Kurzbach. Mais pour une propagande antinazie réussie, l'autorité de ce dernier n'était clairement pas suffisante. Le pouvoir soviétique avait besoin de son côté d'un Allemand vraiment éminent, et Friedrich Paulus tombait à point.

Destin d’un feldmarschall

Les contemporains ont caractérisé Paulus comme un soldat responsable et précis, un officier et un homme digne. Néanmoins, comme l'a écrit l'historien allemand Joachim Wieder dans le livre Catastrophe sur la Volga, ce n'était pas un commandant militaire exceptionnel et il se sentait plus à l'aise entre les murs des états-majors qu’à la tête d’une armée belligérante.

Pendant toute la guerre, jusqu’à Stalingrad, Paulus fut chef d'état-major de son armée, c'est-à-dire qu’il travaillait en réalité à l’arrière avec des documents. Ayant appris la création de l'Union antifasciste des officiers allemands, Paulus a d'abord « vigoureusement condamné l'union et s’est démarqué par écrit de tous les prisonniers de guerre allemands qui y participaient », souligne l'historien Mikhaïl Bourtsev.

Le tournant

Cependant, Paulus changea peu après d’opinion. Il fut influencé par un long travail psychologique et par le cours de la guerre elle-même. Les Alliés avaient ouvert un deuxième front, et le Troisième Reich subissait de cuisantes défaites en Afrique et près de Koursk. L’exécution en Allemagne d’un ami de Paulus, le général-feldmaréchal Erwin von Witzleben, pour avoir participé à la conspiration anti-Hitler du 20 juillet 1944, joua également un rôle.

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Le 8 août 1944, soit un an et demi après sa capture, le maréchal Paulus est intervenu à la radio Allemagne libre pour s’adresser aux soldats de la Wehrmacht : « Pour l'Allemagne, la guerre est perdue. Le pays s’est retrouvé dans cette situation en raison des décisions d'Adolf Hitler. L'Allemagne doit rompre avec Hitler ».

Propagande soviétique

Ce fut le premier, mais pas le dernier discours antihitlérien de Paulus. Ce dernier rejoignit les rangs de l'Union des officiers allemands, et on écrivit à son initiative de nombreux appels au peuple allemand. Comme l'a souligné l'historien Vladimir Markovtchine, Paulus a même demandé une audience personnelle auprès de Joseph Staline, mais ce dernier refusa de recevoir un prisonnier de guerre allemand.

L'une des principales allocutions terrain antinazies du feldmarschall a eu lieu lors d’une audience du procès de Nuremberg les 11 et 12 février 1946. En tant que personne ayant participé à l'élaboration du plan Barbarossa, c’était un témoin clé de l’accusation des généraux Wilhelm Keitel et Alfred Jodl (tous deux condamnés à mort).

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Après Nuremberg, Paulus a été ramené en URSS, où il a vécu dans sa datcha près de Moscou, assigné à résidence. Jusqu'à la mort de Staline en 1953, ses demandes répétées à revenir en Allemagne furent rejetées. Le travail avec les autorités soviétiques a continué – Paulus fut ainsi le principal conseiller du film Bataille de Stalingrad de Vladimir Petrov (1949). Après la mort de Staline, Paulus a quitté l'URSS pour toujours, et a vécu à Dresde, en Allemagne de l'Est, où il est mort d’une maladie en 1957. 

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