Le cimetière de la ville de Sceaux, au sud de Paris, a accueilli le 27 juillet dernier un événement inhabituel : une cérémonie solennelle de deuil à l'occasion du 250e anniversaire de la naissance de l’amiral russe Pavel Tchitchagov, héros de la guerre de 1812 contre Napoléon.
Pavel Tchitchagov. Crédit : Domaine public
Le destin a voulu que cet homme remarquablement instruit, réformateur avant l’heure, qui fut le premier ministre de la Marine impériale russe (1802–1809) et commandant de l'armée du Danube en 1812, passât les 20 dernières années de sa vie à l’étranger et soit mort en 1849, totalement oublié par ses compatriotes. Il a passé les derniers jours de sa vie chez sa fille, la comtesse Catherine du Bouzet, mariée à un Français qui résidait à Sceaux.
Aujourd’hui encore, on peut lire sur les tombes du cimetière municipal (71, rue Houdan 92330 Sсеаuх) les noms de l’amiral Pavel Tchitchagov, de son frère, vétéran de la guerre de 1812, le général Vassili Tchitchagov (1772– 1826) et de la fille de l’amiral, Catherine du Bouzet (1807–1882).
Ayant commencé sa carrière militaire très jeune, Pavel a d’abord servi en Méditerranée sous les ordres de son père, l'amiral Vassili Tchitchagov. Il se distingue dans la guerre russo-suédoise de 1788–1790, et se voit attribuer l'Ordre impérial et militaire de Saint-Georges de quatrième classe, ainsi qu'une épée en or portant l'inscription « Pour le courage ».
Après la guerre, il continue ses études pendant un an à l'école navale britannique, accompagné par son professeur, le remarquable mathématicien russe Gouriev. De retour en Russie, il fut distingué et décoré pour les manœuvres navales sous les drapeaux de l’empereur Paul Ier par le souverain, mais suite à un malentendu et aux intrigues des envieux au sein de la cour du tsar, Tchitchagov est emprisonné à la forteresse Saints-Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg. Ce ne sera pas l’unique manifestation d'une attitude partiale envers lui. Sa carrière a en effet eu des hauts et des bas vertigineux.
Le changement de pouvoir du début du XIXe siècle a bouleversé la vie de Pavel. Ayant accédé au trône, Alexandre Ier, qui possédait des penchants libéraux en vertu de son éducation, avait besoin d’alliés pour mettre en œuvre des réformes. À partir de mai 1801, Tchitchagov fait partie de l'entourage du tsar et en juin 1807, l'empereur lui accorde le grade d'amiral et le nomme à la tête du ministère des Forces navales de la Russie, qui venait d’être créé.
La cérémonie solennelle de l'ouverture de la sépulture renouvelée de l'amiral et de sa famille en 2012. Crédit : Maria Tchobanov
En raison de son ascension rapide, de sa sympathie ouverte pour le mode de fonctionnement de l'État britannique et de son hostilité au servage, il ne tarda pas à nouveau, comme sous Paul Ier, à se faire de nombreux ennemis à la cour. D’autant plus qu’au sein de son ministère, il empêchait les fonctionnaires de s'enrichir aux dépens du trésor. Néanmoins, il jouissait d'une grande confiance auprès de l’empereur.
En tant que ministre des Affaires maritimes, Tchitchagov a entrepris la construction de hangars à bateaux, suivi le développement des technologies et introduit diverses améliorations dans la pratique maritime. Suite à des désaccords constants avec ses collègues du Conseil des ministres, il prit un congé pour une longue durée.
Sceaux, 2012. Crédit : Maria Tchobanov
Rappelé en 1812 par Alexandre, il est nommé commandant en chef de l'armée du Danube, gouverneur-général de Moldavie et de Valachie, et commandant en chef de la mer Noire. Mais le traité de Bucarest signé par Koutouzov met fin à la guerre russo-turque de 1806–1812 avant qu'il ne prenne le commandement de l'armée.
Il participe toutefois à la campagne de 1812 avec son armée, qui rejoint les troupes de la 3e armée occidentale. En novembre 1812, en raison de désaccords entre les généraux, l’armée russe manque l’occasion de mettre fin à la guerre lors de la bataille de Bérézina, laissant les Français battre la retraite. L’amiral sert alors de « bouc émissaire ». Il est accusé de lâcheté et d’avoir laissé Napoléon s'échapper.
Sceaux, 2012. Crédit : Maria Tchobanov
En 1814, Pavel Tchitchagov quitte la Russie pour ne jamais y retourner, oublié de tous. Ses biens seront séquestrés sous Nicolas Ier, il prendra la citoyenneté britannique et mourra chez sa fille en France.
Au fil du temps, les sépultures des Tchitchagov sont tombées en désuétude. Les pierres tombales avec leurs inscriptions presque effacées se sont écroulées. En 2005, les autorités municipales de la ville de Sceaux soulèvent la question de la destruction des sépultures en raison de leur état de délabrement. Grâce aux efforts communs d’une fondation privée de la famille Tchitchagov à Moscou, de l'ambassade de Russie à Paris et de l’association historique « Amis de Sceaux », les autorités municipales ont admis la nécessité de préserver ces tombes ayant une valeur historique. En 2012, année du 200e anniversaire de la guerre de 1812, les sépultures de l'amiral et de sa famille ont été restaurées par la partie russe. Une cérémonie solennelle a alors réuni les membres de la famille de l’amiral, russes et français, unis par l’histoire commune et tourmentée des deux pays.
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