Alexander Solzhenitsyn
APSous Staline, presque personne n’osait critiquer ouvertement le pouvoir. Khrouchtchev dénonce le culte de la personnalité au XXe congrès du PCUS et libère les détenus politiques. La société tente d’instaurer un dialogue avec le pouvoir et voit apparaître des films et des livres dont l’existence aurait été impossible sous Staline. La génération qui grandit croit fermement qu’il est possible de rectifier les activités de l’État et se permet une liberté toujours plus grande.
Deux écrivains, Andreï Siniavski et Iouli Daniel, font publier leurs ouvrages en Occident sous des pseudonymes. En 1965, ils sont arrêtés et jugés « pour propagande antisoviétique ». Au grand mécontentement des autorités, la répression qui s’abat sur les deux hommes est vivement critiquée par des personnalités célèbres de la culture, un meeting est organisé en faveur de la transparence, tandis que les documents concernant le procès sont diffusés par le biais du samizdat, système clandestin de circulation d’écrits interdits.
C’est à peu près à cette époque que l’Union soviétique signe le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la nouvelle étant annoncée dans les journaux. Les Soviétiques apprennent avec étonnement que leurs droits sont protégés par la Commission des droits de l’homme des Nations unies et qu’il est possible de porter plainte en cas du non-respect de ceux-ci. Ceux qui estiment indispensable d’indiquer au pouvoir l’existence de violations de leurs droits rassemblent des témoignages.
Des procès se tiennent également dans d’autres pays socialistes. Au point que des réformes libérales sont entamées en Tchécoslovaquie. Craignant de perdre le contrôle du monde socialiste, le gouvernement soviétique fait entrer des chars à Prague en 1968.
Des chars soviétiques à Prague. Crédit : The Central Intelligence Agency
En signe de protestation, huit personnes viennent sur la place Rouge en brandissant des pancartes : « Pour votre liberté et la nôtre » et « Honte aux occupants ». Elles sont immédiatement arrêtées, jugées et internées dans des camps ou des hôpitaux psychiatriques (car seul un fou peut être contre l’URSS, a fait remarquer un jour Nikita Khrouchtchev).
Les non-conformistes centrent leurs activités sur deux grands axes : l’écriture de lettres collectives aux instances soviétiques et la diffusion d’informations sur la violation des droits
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Au début ils se qualifient de « défenseurs des droits de l’homme » ou de « Mouvement Démocratique » (les deux mots s’écrivant avec une majuscule), puis d’« hétérodoxes ». Un jour, les journalistes étrangers qui avaient du mal à trouver un seul mot pour décrire le phénomène n’ayant pas de rapport direct ni avec la gauche, ni avec la droite, ni avec l’opposition ont employé le terme qui avait été appliqué aux XVIe et XVIIe siècles aux protestants anglais : dissidents (dont la racine latine renvoie à « celui qui est séparé, éloigné »).
Toutefois, il n’existe aucune structure organisée : chaque dissident définit lui-même la mesure de sa participation à l’œuvre commune. Les dissidents n’ont pas de leader, mais des figures de proue influentes : ainsi, les lettres écrites par l’académicien Sakharov ou les déclarations de l’écrivain Soljenitsyne valaient plus que les propos de quelqu’un d’autre.
Académicien Sakharov. Crédit : Iouriy Zaritovskiy / RIA Novosti
Ils n’ont pas l’intention de s’emparer du pouvoir dans le pays et ne possèdent même pas de programme concret de réformes. Ils veulent que le pays respecte les droits fondamentaux de l’homme. Ils se posent pour objectif de faire connaître à un nombre maximum de personnes, tant en URSS qu’à l’étranger, les violations et le fait que le pouvoir ment en affirmant que le pays respecte les droits de l’homme et que tout le monde est heureux. Ils le font par le biais du samizdat et en transmettant les informations en Occident par différents moyens, allant de conférences de presse données dans le pays à la remise de textes à des ressortissants étrangers.
Au début, les défenseurs des droits de l’homme ont l’intention de « laver leur linge sale en famille ». Ils s’adressent à la direction soviétique ou, dans le pire des cas, aux chefs communistes des pays d’Europe orientale. Mais en janvier 1968, quatre participants au samizdat sont jugés pour avoir publié des documents sur un procès à retentissement, celui d’Andreï Siniavski et Iouli Daniel en 1965. Deux autres dissidents rédigent alors un Appel à la communauté internationale. Cet Appel est lu à la BBC en anglais et en russe et est suivi d’une campagne contre les persécutions politiques, bien plus large que celle de 1965.
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C’est la première manifestation officielle de dissidents contre le pouvoir. Par la suite, ils chercheront toujours à informer l’Occident des violations qu’ils remarquent. L’information détenue par les pays occidentaux devient rapidement un instrument de pression économique, une sorte de sanctions. Par exemple, les États-Unis ont adopté en 1974 l’amendement Jackson-Vanik qui limitait le commerce avec les pays entravant la liberté d’émigration. Ce document compliquait notamment pour l’URSS l’achat d’ordinateurs et le pays devait agir par le biais de sociétés écrans.
Leonid Brejnev signe le texte de la conférence d'Helsinki. Crédit : AFP
En 1975, l’Union soviétique signe l’Acte final d’Helsinki où elle s’engage à accorder à ses citoyens la liberté de circulation, de contact et d’information, le droit au travail, à l’éducation et aux soins médicaux ; l’égalité et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à déterminer leur statut politique intérieur et extérieur. Ce document publié par les journaux soviétiques devient l’atout des dissidents. L’année suivante, ils forment des Groupes Helsinki (d’abord à Moscou, puis en Ukraine, en Lituanie, en Géorgie et en Arménie) pour enregistrer les violations de ces droits et libertés.
Personne ne connaît leur nombre exact, car il dépend avant tout de ceux que l’on considère comme dissidents.
En comptant ceux qui ont attiré l’attention du KGB (services de sécurité) et qui y ont été invités pour un « entretien préventif », il s’agit de près d’un demi-million de personnes des années 1960 aux années 1980. Avec ceux qui ont signé différentes lettres (par exemple des demandes d’émigrer ou d’ouvrir une église ou bien un appel à libérer les détenus politiques), ils se comptent en dizaines de milliers. En réduisant le mouvement dissident aux défenseurs des droits actifs, aux avocats ou aux auteurs d’appels, ils ne sont que quelques centaines.
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Il ne faut pas oublier non plus les nombreux Soviétiques qui n’ont jamais rien signé, mais qui gardaient chez eux des documents « dangereux » ou qui recopiaient à la machine à écrire des textes interdits.
Officiellement, le pouvoir n’a jamais reconnu la présence de non-conformistes dans ce pays « heureux » : seuls les criminels ou les fous pouvaient se livrer à une activité dirigée contre l’État sous le masque de défenseurs des droits de l’homme. Cette activité, ainsi que toute « propagande » du genre risquait de mener n’importe qui en prison.
Siège du KGB, place Loubianka. Crédit : Vladimir Vyatkin/RIA Novosti
Mais outre la privation de liberté, de nombreuses autres mesures étaient appliquées aux dissidents : ils pouvaient être limogés ou renvoyés d’un établissement d’études, ils pouvaient être pris en filature ou internés de force dans un hôpital psychiatrique. Des milliers de personnes ont subi ce genre de mesures.
Etant donné que les dissidents ne se sont jamais posé pour objectif de renverser le pouvoir, ils ne présentaient pas de menace directe. Toutefois, leurs actions causaient des ennuis à la direction du pays.
Premièrement, il était désagréable de devoir s’expliquer avec les partis communistes occidentaux, il y avait des problèmes pour acheter des équipements hautement technologiques – il était indispensable de créer des sociétés écrans –, et il était pénible d’être victime de sanctions.
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Deuxièmement, les dissidents donnaient un mauvais exemple et semaient le doute parmi les « fidèles » en diffusant des informations nuisibles. En outre, on ignorait comment lutter contre ce qui n’a pas de structure organisée : qui devait être envoyé en prison ?
Toutefois, le KGB avait besoin d’un ennemi intérieur en rapport direct avec l’ennemi extérieur, les États-Unis, afin de générer en permanence un sentiment de danger, ce qui permettait d’influer sur les décisions politiques et de toucher un financement supplémentaire de la part des autorités soviétiques.
Alexeï Makarov, Ioulia Bogatko, Oleg Koronny
Le texte est publié en version abrégée. Le texte intégral en russe est disponible sur le site d’Arzamas
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