Crédit : photo d'archive
À l’automne 1048, le roi Henri Ier envoie une mission conduite par l’évêque Roger de Chalons à Kiev dans le but de convaincre d’Iaroslav le Sage de donner en mariage au roi des Francs la plus jeune de ses filles, Anne. Le descendant de Riourik, qui avant de devenir grand-prince de la Rous’ de Kiev avait été grand-prince de Rostov, puis de Novgorod, approuve l’union et vers la fin de 1049 ou au début de 1050, une seconde ambassade est envoyée pour ramener à Reims celle qui était destinée à devenir la première et l’unique reine russe de l’histoire de la France.
« Anna croyait rêver… Les hymnes latins, manquant d’euphonie mais très sonores, la musique inhabituellement traînante de l’orgue et l’épaisse fumée d’encens lui faisaient tourner la tête. Ses amples vêtements semblaient la séparer du monde et, grisée par son triomphe, Anna était prête à croire l’évêque Roger qui affirmait pompeusement que c’était le Ciel qui l’avait envoyée à la France pour sécher les larmes des malheureux et nourrir les affamés. Soudain, elle eut la sensation d’avoir une boule dans la gorge. La jeune reine voulut ardemment gagner l’amour de tous ces gens qui la contemplaient comme un être supérieur de l’Univers », indiquait l’écrivain russe Antonin Ladinski en décrivant le mariage d’Anne de Kiev à Reims dans son roman Anna Iaroslavna, reine de France.
Les historiens russes et français avancent différentes dates de naissance d’Anne : de 1025 à 1036. Ce qui fait qu’elle a pu se marier tant à 15 ans qu’à 25 ans.
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Anne était la fille du Grand-Prince Iaroslav le Sage. C’est sous son règne que la Russie obtient son premier code juridique, fonde ses premiers monastères et écoles et voit se développer la lecture et l’enseignement. Tous les enfants de Iaroslav étaient instruits. Au moment de la demande en mariage par Henri Ier, Anne savait lire et écrire et connaissait le grec et le latin. En France, elle maintenait sans problèmes la conversation sur la littérature, l’histoire, la politique et l’agriculture avec des moines érudits.
Son père avait bien mérité son surnom de sage : il l’était tant dans la politique intérieure qu’en politique étrangère. Grâce aux unions dynastiques de ses enfants, il renforçait les relations amicales avec les pays étrangers. L’une de ses filles, Élisabeth, épousa le roi Harald III de Norvège et une autre, Anastasia, se maria avec André Ier de Hongrie.
Mythe N°2 : Intrigues politiques tissées par Iaroslav… ou Henri Ier ?
Les filles de Iaroslav le Sage. Crédit : photo d'archives
Pour ce qui est du mariage d’Anne, il semblerait que la politique n’y soit pour rien. « Nous ne savons rien sur les raisons qui ont motivé cette union, souligne l’historien russe Evgueni Ptchelov, de l’Université des sciences humaines de Russie. La politique de la France n’était pas importante pour la Russie et vice versa. Selon plusieurs sources, l’initiative de ce mariage reviendrait à la France. Certains, notamment l’historien russe Nikolaï Kamarzine, supposent que la raison résidait dans l’interdiction des mariages entre personnes ayant des liens de parenté pour les monarques, ce qui était un problème pour la France liée par des unions dynastiques avec de nombreuses maisons européennes. Cela contraignit la France à chercher une femme à son roi dans un pays lointain. Or, cet argument semble précaire. Une autre hypothèse établit un lien entre le mariage d’Anne et celui de sa sœur aînée Élisabeth : par son union avec la sœur de l’épouse de Harald le Sévère, Henri Ier aurait cherché à établir des relations d’alliés avec la Norvège. Dans le même temps, on sait qu’Hugues Capet, le fondateur de la dynastie capétienne, voulait s’apparenter aux empereurs byzantins. Et si le mariage de son petit-fils Henri Ier visait à rapprocher un petit peu les capétiens de Byzance ? Quoi qu’il en soit, il est évident que les capétiens cherchaient à consolider leur dynastie au pouvoir par le biais d’unions dynastiques internationales. Mais comment le mariage avec la fille d’un prince de Kiev pouvait-il y contribuer ? ».
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Pour aller chercher Anne, la délégation d’Henri Ier quitta la France à destination de Kiev en 1048 ou 1049 (selon des sources différentes). Avec la bénédiction de ses parents, Anna partit pour toujours dans un pays inconnu. La jeune princesse était suivie dans ce voyage d’une caravane de chariots avec sa dot où figurait, parmi tant d’autres joyaux, une hyacinthe qui deviendra une relique de l’abbaye royale de Saint-Denis.
Anne fut accueillie à Reims par son futur époux. Le mariage fut célébré le jour de la Sainte Trinité, le 19 mai 1051. La légende veut qu’Anna ait apporté avec elle un Évangile slavon. Certains estiment que c’est le livre qui serait appelé plus tard Évangéliaire de Reims, sur lequel les rois de France prêtaient par la suite serment au moment du sacre. « L’Évangéliaire de Reims n’a aucun rapport avec Anne de Kiev, affirme pourtant Evgueni Ptchelov. Ce livre est un recueil de différents manuscrits sous la même reliure : d’un texte en alphabet cyrillique du XIe siècle et d’un autre en glagolitique datant de la fin du XIVe siècle et écrit à Prague. Cet Évangile ne s’est retrouvé dans la cathédrale de Reims qu’au XVIe siècle, il servait aux rois de France à prêter serment au moment du sacre (pour quelle raison, c’est une autre histoire) et ce n’est qu’au XIXe siècle que le rapprochement a été fait avec le nom d’Anne de Kiev ».
Statue en bronze d'Anne de Kiev à Senlis. / detail. / myself/wikipedia.org (CC BY-SA 4.0)
Les amateurs de littérature historique affirment souvent que c’est Anne, princesse russe dont les terres connaissaient depuis longtemps la tradition de la visite régulière aux bains, qui introduit en France la mode de ces établissements. Dans son livre Paris de César à Saint Louis, Maurice Druon cite une lettre qu’Anne aurait écrit à son père pour se plaindre et s’étonner de l’absence de cette tradition en France. Toutefois, ce n’est qu’une œuvre littéraire. « La science ne connaît aucun message d’Anne à Iaroslav le Sage », insiste Evgueni Ptchelov.
Henri Ier est mort en 1060. Son fils aîné, l’héritier du trône, n’ayant que 8 ans, Anne devint régente. En 1061, elle se remaria avec le comte de Valois, Raoul de Crépy. Le mariage fit scandale : le comte qui était déjà marié deux fois avait répudié son épouse légitime, tandis qu’Anna, affirmait-on, avait abandonné pour Raoul les enfants nés de son union avec Henri Ier.
À partir de ce moment, son nom disparaît des archives royales. Pour racheter son péché de ce mariage, elle fonde à Senlis l’abbaye Saint-Vincent qui abrite aujourd’hui un lycée privé.
Les historiens perdent alors définitivement sa trace et ne connaissent ni la date de sa mort, ni le lieu de son inhumation. D’après Evgueni Ptchelov, le dernier document à mentionner son nom date de 1075. « Elle aurait été inhumée à l’abbaye de Villiers-aux-Nonnains à Cerny, précise-t-il. Il semble pourtant que cette pierre ne soit qu’un cénotaphe apparu suite à un malentendu avec les noms d’autres femmes de cette abbaye. Selon une autre hypothèse, Anne serait retournée en Russie. C’est ce qu’affirment les chroniques de l’abbaye Fleury, une source du début du XIIe siècle, qui contient la dernière mention sur la destinée d’Anne. L’histoire de la dynastie des Riourikides à laquelle appartenait Anne a connu de tels exemples : ainsi, la nièce d’Anne, Adélaïde de Kiev, rentra dans son pays à l’issue de son divorce avec Henri IV du Saint-Empire ».
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