Le front en Champagne où les Russes vont bientôt connaître la même vie que les poilus.
Archives de Gérard Gorokhoff et Andreï Korliakov, auteurs de l’ouvrage Le Corps expéditionnaire russe en France et à Salonique 1916-1918Le 24 décembre 2016 sera ancré dans la mémoire de Pierre Malinowski à vie. Ce jour-là son défi, lancé en 2013, a abouti : il a découvert dans le champ de Cormicy les ossements d’un soldat russe tombé le 19 avril 1917 lors de l’attaque du Mont Spin et porté disparu avec ses quelques 700 frères d'armes venus de Russie. La réalisation de ce rêve a demandé trois ans de travail, de fouilles acharnées et un important investissement personnel.
Pierre Malinowski. Crédit : Maria Tchobanov
La dépouille a été extraite le 17 janvier. Pierre pourrait parler longtemps de ce soldat : il est parti d’Arkhangelsk pour arriver à Brest en juillet 1916 avec la 3ème brigade du Corps expéditionnaire russe.
C’était un jeune homme âgé de 20 à 30 ans, il était petit et très costaud. Il a été tué à 15h30, sur la première ligne de la bataille, une demi-heure après le début de l’attaque, qui a emporté presque deux milles soldats et officiers russes. Ses souffrances furent atroces, puisqu’il a eu deux les jambes amputées et le crâne complètement enfoncé, probablement par un éclat d'obus.
Son cadavre a été ramassé et jeté dans un trou situé sur le côté. Selon la position des ossements, le corps en décomposition semble avoir été tiré par la cartouchière. Depuis 100 ans il reposait au milieu des tranchées, à 1,70 m de profondeur. Des boutons d’uniforme frappés d’un aigle bicéphale, une ceinture correspondant à l’uniforme russe, des munitions et une croix orthodoxe ont été trouvés sur la dépouille. « C’est incroyable, en voyant la croix j’ai pensé que cet homme l’a embrassée juste avant de partir à l’assaut, et 30 minutes après il a été tué », raconte, ému, Pierre Malinowski, cet autodidacte passionné d’histoire. Avec un autre passionné, Gérard Gorokhoff, coauteur de l’ouvrage Le Corps Expéditionnaire Russe en France et à Salonique 1916–1918, Pierre est en train d’écrire un livre sur ce soldat qu’il a tant voulu trouver.
« Je vais raconter toute la partie de l’attaque jusqu’à sa mort. C’est un soldat inconnu, puisque on ne peut pas l’identifier, mais je sais exactement dans quel régiment et dans quelle compagnie il a combattu. Je connais l’attaque mètre par mètre et j’ai tous les documents et plans pour le confirmer. J’ai engagé un géomètre pour recalculer les cartes d’attaque de l’époque sur le terrain d’aujourd’hui et je connais exactement l’emplacement des tranchées. J’ai investi toutes mes économies dans ces recherches », avoue Pierre.
Il se réjouit que la découverte ait été faite quatre mois avant le centenaire de la bataille du Chemin des Dames. Pierre espère que grâce à ses efforts, les hommages mérités seront rendus aux Russes qui ont péri dans cet offensive – à tous ces soldats et officiers qui sont venus en France en échange contre de l’armement et qui reposent à 4 000 km de chez eux, dans les champs parcourus par des tracteurs.
« Ce n’était pas votre guerre, vous aviez le front de l’Est, nous – le front de l’Ouest. Cependant on a envoyé le contingent ici et on a mis les brigades russes dans les pires endroits – Courcy et Mont-Spin. En trois jours les Russes ont perdu 4 500 personnes. 2 000 tués à Mont Spin où je réalise les fouilles. C’est important pour moi d’en avoir trouvé un et je suis content de mon travail vis-à-vis de la population russe. En Russie les gens vont savoir que nous n’avons pas oublié en France que les Russes nous ont aidés pendant la Première Guerre mondiale », relate Pierre Malinowski.Depuis la fin de la Grande Guerre, c’est la première fois en France qu’un soldat russe porté disparu est officiellement retrouvé : jusqu’à présent c’étaient des Français, des Allemands ou des Américains. Pour y arriver, Pierre Malinowski, qui a une maison familiale à 3 km des lieux des combats évoqués, a commencé à chercher à l’aveugle, en creusant un peu partout avec une pelle et une pioche, en vain. Au bout de quelques mois, il a systématisé ses recherches en s’appuyant sur les cartes de l’époque qui l’ont aidé à déterminer les emplacements des tranchées.
Des boutons d’uniforme frappés d’un aigle bicéphale et une croix orthodoxe ont été trouvés sur la dépouille. Crédit : Pierre Malinowski
Il a fallu six mois pour avoir l’autorisation des propriétaires des terrains, lesquels ont finalement accepté l’intervention à l’aide de la grue. En 2015, les premiers objets appartenant aux troupes russes ont été trouvés : casques, fusils, gamelles. Ils ont été exposés à Courcy lors de l’inauguration du monument russe de Courcy le 26 avril 2015. C’est à cette occasion que l’ambassadeur russe en France Alexandre Orlov a encouragé Pierre Malinowski à poursuivre son travail, qui pourrait aboutir, en cas de succès, au rapatriement des ossements à Moscou.
Toute l’année 2016, Pierre a creusé jusqu’à s'en abîmer le dos, il commençait même à perdre le moral quand un jour la colonne vertébrale d’un homme mutilé a été remontée à la surface. Des analyses d'experts ont confirmé l’origine du soldat. Ancien militaire, fils de l’historien Alain Malinowski spécialiste de la Première Guerre mondiale, Pierre a consacré trois ans à ces fouilles, il a investi pas moins de 20 000 euros dans cette affaire, mais n’en regrette pas un seul.
Ce soldat n’avait pas de plaque et restera à jamais inconnu, mais selon Pierre Malinowski, il représentera tous les morts russes pour la France. Il est convaincu qu’il y en a d’autres dans ce champs, environs 700 dépouilles, certainement beaucoup avec des plaques d’identité qui permettront de les identifier et éventuellement de trouver leurs familles.
« Maintenant c’est l’affaire de la diplomatie. J’ai fait mon travail pendant trois ans tout seul pour honorer la Russie, parce que c’est un pays que j’aime beaucoup, et c’est au président Vladimir Poutine et à l’ambassadeur Alexandre Orlov de décider le destin de ce soldat. Si le président russe en fait la demande, le corps peut être rapatrié à Moscou, j’ai eu la confirmation des archéologues et autorités françaises », explique Pierre.
Son espoir, c’est de voir ce soldat enterré avec les honneurs militaires au côté du grand-duc Nicolas Nikolaïevitch de Russie, commandant suprême de l'armée impériale de Russie, dont les restes ont été rapatriés vers la Russie depuis la France en 2015, pour être enterrés à Moscou dans la chapelle de la Transfiguration, au parc mémorial de la Première Guerre mondiale.
En attendant, le maire de la commune Cormicy pense à ériger un monument aux soldats russes à côté de l’endroit où on a découvert le corps. Qui sait, peut-être le président russe décidera un jour de venir se recueillir sur les lieux où le corps expéditionnaire russe avait perdu 2 000 soldats lors de l’offensive du Chemin des Dames. Un autre projet est en cours d’élaboration – une exposition sur cet épisode de la Grande guerre au centre culturel et spirituel russe du quai Branly. Pierre Malinowski veut donner à la Russie tous les objets trouvés lors des fouilles, le corps du soldat découvert pourrait également être exposé dans une vitrine.
Plusieurs experts sont invités à contribuer à cet événement : le collectionneur et historien Gérard Gorokhoff pourrait prêter des mannequins vêtus et armés et d’autres objets de l’époque de la guerre, l'archéologue de la Grande Guerre Yves Desfossés, conservateur régional de l’archéologie en Champagne-Ardenne, qui a sorti le corps du soldat trouvé en personne, serait prêt à donner une conférence dans le cadre de cette exposition. Les idées ne manquent pas et Pierre attend la décision de l’ambassadeur Alexandre Orlov, qui a soutenu son projet dès la première rencontre et à qui Pierre Malinowski est très reconnaissant.
Depuis sa découverte, Pierre a reçu de nombreux messages d’encouragement et de remerciement venus de Russie. Il est particulièrement touché par le soutien du député de la Douma Natalia Poklonskaïa et du président du Comité de la Douma pour les affaires étrangères Leonid Sloutsky. Ce dernier a même proposé son appui si Pierre décide de poursuivre les recherches des autres corps des soldats et officiers russes qui gisent dans le sol français.
Crédit : Pierre Malinowski
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.