Les racines russes du mythique parfum Chanel N°5

Konstantin Veriguine et ces collègues.

Konstantin Veriguine et ces collègues.

"L'emigration russe en photos 1917-1947 Vers le succès" d'Andreï Korliakov
En 1921, le chimiste Konstantin Veriguine créa une composition unique qui forma la base du légendaire parfum français Chanel N°5.

Dès sa plus tendre enfance, Konstantin Veriguineavait une sensibilité olfactive particulière. Il décelait facilement les notes les plus fines d’un parfum, imperceptibles pour les autres. Pour lui, chaque lieu, personne ou événement avait son odeur propre.

Konstantin est né en 1899 dans une famille de nobles. Il a grandi dans sa ville natale de Saint-Pétersbourg et dans les propriétés de ses parents dans les régions d’Oufa et de Simbirsk (aujourd’hui la ville d’Oulianovsk située à 700 km au sud-est de Moscou). Ce qui lui a fait apprécier particulièrement la sensation de l’air glacé, la pureté du froid et l’odeur des fourrures.

Mais son enfance, c’était aussi les senteurs des bûches de pin brûlant dans la cheminée, l’arôme du café fraîchement moulu, l’odeur du cuir dans la bibliothèque de son père et le parfum de vanille flottant dans la maison le jour de Pâques. En été, Konstantin allait en Crimée où s’entremêlaient la fraîcheur salée de la mer et les arômes mielleux des jardins en fleurs.

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Un jour, le petit Konstantin pénétra dans le boudoir de sa tante et fut émerveillé par les rangées infinies de flacons et bocaux dont émanaient les odeurs les plus diverses. Il s’intéressa vivement à la fabrication de ces mélanges odorants. Sa tante lui offrit plusieurs petites boîtes qui devinrent les premiers échantillons de ses expériences. Au début, il mélangea des substances toutes prêtes. Plus tard, il s’intéressa aux moyens d’obtenir des extraits de fleurs pour réaliser ses propres compositions.

Il appréciait tout particulièrement le parfum du muguet, symbole du printemps. Par la suite, il décidera que les notes de muguet tiendraient un rôle particulier et efficace dans un parfum.

L’exil

Après la Révolution d’Octobre et pendant la Guerre civile, Konstantin rejoignit l’armée Blanche et lutta contre les bolcheviks en Crimée. Il dut s’exiler après la débâcle des Blancs : d’abord en Turquie puis au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. A cette époque, Veriguinedécide de se consacrer à la parfumerie et d’aller étudier en France. Il attend avec impatience son visa.

Source libre. Source libre

Konstantin s’inscrit à l’Université catholique de Lille, à la faculté de chimie. « Lille m’a frappé par sa morosité grise, son humidité métallique et ses relents de charbon et d’essence », écrit-il. Il travaille au laboratoire universitaire du matin au soir, réalisant que ses expériences sont des marches qui mènent dans le monde sérieux de la parfumerie.

Alors qu’il est encore étudiant, il est invité à travailler pendant un mois à Paris, à la Maison Marquise de Luzy. Il se retrouve dans la capitale française qui lui procure une meilleure impression : « Je fus séduit par la légèreté de ses proportions, la grâce des maisons, le mode de vie et l’élégance des femmes… » Selon lui, l’air de cette ville magique recèle en soi les formules de nouveaux parfums.

Un Russe à Paris et un Français à Moscou

Un jour, Veriguinefut présenté à Ernest Beaux, le démiurge de la parfumerie française. Ce dernier, qui travaillait alors chez l’industriel Chiris, évalua à sa juste valeur le talent du jeune chimiste russe et lui proposa de coopérer.

Avec le temps, Ernest Beaux devint pour M. Veriguinenon seulement un maître et un conseiller, mais également un compagnon de route. Konstantin appelait son patron comme il est d’usage en Russie : Ernest Edouardovitch. Et ce n’était pas fortuit.

Ernest Beaux. Source libreErnest Beaux. Source libre

Ernest Beaux naquit en 1882 à Moscou, dans une famille française. Il maîtrisait à merveille le russe, adorait Pouchkine, Tourgueniev et Dostoïevski, admirait le ballet impérial et la nature russe. C’est en Russie qu’il se lança dans la parfumerie en créant le parfum Bouquet de Catherine à la mémoire de Catherine II, ainsi que plusieurs autres parfums. En 1920, Ernest Beaux dut retourner en France.

«Ce numéro 5 lui portera bonheur»

La Première Guerre mondiale marque la fin de la Belle Epoque, qui cède sa place à celle de la poussée technologique : la vie s’aligne sur le rythme du fox-trot, se noie dans la fumée des cigarettes et défile à la vitesse des voitures et des trains. La mode leur emboîte le pas. Le parfum se doit de suivre cette nouvelle cadence. Et il le fait.

La grande couturière Coco Chanel proposa à Ernest Beaux de créer un nouveau parfum. Il lui présenta une série de ses créations et elle choisit celle qui portait le numéro 5. Selon les propres mots de Beaux, quand il fallut donner un nom au parfum, « Mlle Chanel m’a répondu : « Je présente ma collection de robes le 5 du mois de mai, le cinquième de l’année, nous lui laisserons donc le numéro qu’il porte et ce numéro 5 lui portera bonheur ».

Konstantin Veriguine en 1940. Source : "L'emigration russe en photos 1917-1947 Vers le succès" d'Andreï KorliakovKonstantin Veriguine en 1940. Source : « L'emigration russe en photos 1917–1947 Vers le succès » d'Andreï Korliakov

L’achat d’essences, le choix des ingrédients et le contrôle de la qualité furent confiés à Konstantin Veriguine.

La note principale du parfum Chanel N°5 est la fraîcheur d’une rivière du nord. C’est l’air du printemps juste après la fonte des neiges, « l’air que l’on respire sans jamais pouvoir respirer à satiété. C’est la force, l’éclat, la sonorité et un léger enivrement de la jeunesse ». Pour Veriguine, ce sont les odeurs du printemps russe. Il ajoute à la base traditionnelle de senteurs florales des aldéhydes qui vont donner leur personnalité et leur caractère à cette nouvelle fragrance. Ernest Beaux ne cache pas son admiration devant le résultat du travail de son assistant russe.

Le 5 mai 1921, le nouveau parfum est présenté au public : c’est le succès immédiat. Chanel N°5 fut le premier parfum à refléter les récentes tendances de la mode et le nouveau style de l’époque.

Quelques décennies plus tard, il deviendra une légende, le rêve de millions de femmes et l’arme invisible foudroyant des millions d’hommes.

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Lesgensetlesodeurs

Le succès de Chanel N°5 incita Konstantin Veriguine à de nouvelles expériences et découvertes. Le maître russe de la parfumerie française créa nombre de nouveaux parfums, notamment pour la maison Bourjois : Mais Oui, Ramage, Glamour et Soir de Paris. Il fut élu vice-président de la Société française des parfumeurs (SFP) et travailla pendant un certain temps en Grande-Bretagne, en Italie, aux Etats-Unis. Cependant, il n’eut plus jamais l’occasion de rentrer dans son pays natal.

En 1965, sa fille, Irina, publia ses mémoires sous le titre Souvenirs et parfums : mémoires d’un parfumeur. Le livre parut également en Russie en 1996.

Dans ses mémoires, Konstantin Veriguine met en garde le lecteur contre une attitude négligée envers l’odeur de ses vêtements et de son corps, car ces odeurs influent grandement sur le caractère et sont à la base de nos sympathies ou antipathies, de nos souvenirs, de notre imagination et de notre création.

Rêvant à l’avenir, Veriguine a toujours dit qu’un jour la science inventerait le moyen de fixer une odeur pour la reconstituer, telle une image de film sur la pellicule, et que les médecins, s’appuyant sur le potentiel révélateur des odeurs, pourraient faire des diagnostics plus précis et lutter plus efficacement contre les maladies.

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