Les temps forts des œuvres littéraires russes peuvent facilement être résumés via les SMS d’une banque en ligne. Leurs personnages - souvent endettés et cherchant à fuir les créanciers, auraient bien du mal même dans le monde actuel…
Le personnage principal du roman Âmes mortes Pavel Tchitchikov (à gauche). Crédit : Getty Images
Créanciers croulant sous les dettes, escrocs, victimes malheureuses de mensonges et de propositions douteuses – la littérature classique russe regorge de héros accablés par les obligations financières.
S’ils vivaient aujourd’hui, ces personnages pourraient facilement devenir la cible quotidienne des banques et des recouvreurs de dette. Si l’on fait abstraction de la profonde signification philosophique des œuvres, on peut voir dans de nombreux sujets une vie banale ployant sous le fardeau d'un prêt ou de loyers impayés pour un appartement.
Nous avons tenté d’imaginer les notifications de banques qui rempliraient leur téléphone. Il s’est avéré que les SMS d’une banque sont l’incarnation parfaite des souffrances et des victoires des personnages célèbres. Attention ! Si vous n’avez pas lu le livre, préparez-vous à en découvrir le dénouement.
Âmes mortes de Nicolas Gogol : le harcèlement d’une banque sans licence
Ce poème est un chef-d'œuvre consacré à la ruse humaine et aux péchés mortels. Le conseiller de Collège Pavel Ivanovitch Tchitchikov parcourt le pays pour acheter à bon marché les « âmes mortes » de serfs (ils sont déjà morts, mais toujours classés comme vivants dans les documents officiels). Au cours de ses aventures, il doit changer plusieurs fois de banque. L’ensemble du processus d’achat-vente se déroulait dans la douleur et provoquait une irritation mutuelle.
L'essence de l'un des épisodes (chapitre IV) est la suivante:
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Extrait tiré du poème Âmes mortes
– Allons, mon cher, dit Nozdriov ; pour passer le temps, je mets trois cents roubles en banque, n’est-ce pas ?nSous ses doigts qui en comprimaient les bords, le jeu se bomba, et la banderolle sauta.nMais Tchitchikov parut ne pas comprendre. Il dit, comme frappé d’une soudaine réminiscence :n– Ah oui ! À propos, j’ai un service à te demander.n– Lequel ?n– Jure-moi d’abord que tu ne refuseras pas.n– Mais quel service ?n– Jure d’abord.n– Soit !n– Parole d’honneur ?n– Parole d’honneur.n– Eh bien, voici… Beaucoup de tes paysans défunts figurent encore, je crois, sur les listes de recensement ?n– Oui, et alors ?n– Cède-les moi.n– Qu’en veux-tu faire ?n– J’en ai besoin.n– Pour quoi ?n– C’est mon affaire. J’en ai besoin, te dis-je.n– Tu manigances quelque chose. Avoue.n– Rien du tout. Quel parti tirer de pareille vétille ?n– Mais alors qu’en as-tu besoin ?n– Voyez-vous le curieux ! Il voudrait tout palper, mettre son nez partout.n– Ah, tu biaises ? Puisque c’est ainsi, je ne fais rien, tant que tu ne m’auras pas expliqué ton dessein.n– Tu seras bien avancé quand tu le sauras ! Simple fantaisie de ma part. Et tu n’agis guère honnêtement : tu donnes ta parole pour aussitôt la reprendre.n– Comme tu voudras ; mais je ne m’exécute pas avant que tu n’aies parlé.n« Que pourrais-je bien lui dire ? », songea Tchitchikov qui, après un instant de réflexion, déclara avoir besoin d’âmes mortes pour acquérir du poids dans le monde ; comme il ne possédait pas de grands domaines, elles lui en tiendraient lieu, en attendant mieux.n– Tu mens, tu mens ! interrompit Nozdriov.n
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Extrait tiré du poème Âmes mortes
– Allons, reprit-il, je vais te dire la vérité ; de grâce, n’en souffle mot à personne. Je me suis mis en tête de me marier ; mais les parents de ma fiancée ont de grandes prétentions. Qu’allais-je faire dans cette galère ! Ils exigent du fiancé trois cents âmes, et comme il m’en manque près de la moitié.n
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Extrait tiré du poème Âmes mortes
– Il y a des limites à tout, déclara Tchitchikov d’un ton digne. Si tu veux faire parade de semblables propos, fréquente les corps de garde !… Si tu ne veux pas donner tes âmes mortes, vends-les moi, ajouta-t-il après un temps.n– Te les vendre ! Mais je te connais, canaille ; tu n’en offriras pas cher.n– Je te vois venir. Crois-tu qu’elles vaillent leur pesant d’or ?n– Ça y est. Je t’avais bien deviné !n– Tu n’as pas honte de ces façons de juif ? Tu devrais tout simplement m’en faire cadeau.n– Écoute ; je vais te montrer que je ne suis pas un grigou. Achète mon étalon, je te donnerai les âmes par-dessus le marché.n– Qu’ai-je à faire de ton étalon ? s’écria Tchitchikov décontenancé par cette proposition.n– Mais je l’ai payé dix mille roubles, et je te le cède pour quatre mille !n– Et après ? Je n’ai pas de haras.n– Attends donc. Tu ne me donneras tout de suite que trois mille roubles et le reste plus tard.n– Je n’en ai que faire, te dis-je.n– Alors, achète ma jument alezane.n– À quoi bon !n– Pour la jument et le cheval gris que je t’ai montré, je ne te prendrai que deux mille roubles.n
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Extrait tiré du poème Âmes mortes
– Monsieur Nozdriov, s’il vous plaît ? demanda l’inconnu tout ébahi, en dévisageant tour à tour Nozdriov qui brandissait son chibouk et Tchitchikov qui se remettait difficilement de son émoi.n– Tout d’abord, à qui ai-je l’honneur de parler ? rétorqua Nozdriov en s’avançant vers le nouveau venu.n– Au capitaine-ispravnik.n– Et que désirez-vous ?n– Je viens vous prier, par ordre, de vous tenir à la disposition de la justice jusqu’au prononcé du jugement dans le procès qui vous a été intenté.n– Quel procès ?n– Vous êtes impliqué dans l’affaire Maximov. Ce propriétaire vous accuse d’avoir, au cours d’une orgie, exercé des violences sur sa personne ; vous l’auriez fait battre de verges.n– Vous mentez ! J’ignore totalement le propriétaire Maximov.n– Monsieur, permettez-moi de vous dire que je suis officier. Si bon vous semble, parlez sur ce ton à vos domestiques ; quant à moi, je ne saurais le supporter.n
Crime et châtiment de Fédor Dostoïevski : Loyers impayés et microcrédits
Par une chaude journée de juillet, le pauvre ex-étudiant Rodion Raskolnikov a décidé de commettre l'un des crimes les plus célèbres de la littérature mondiale : il brise à la hache le crâne d’une vieille usurière et de sa sœur Elizabeth, avant de les dépouiller. Mais avant de commettre un tel forfait, il a plongé dans les affres des démêlés financiers et s’est retrouvé au fond du trou en raison de ses dettes.
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Extrait tiré du roman Crime et châtiment
– Je suis venu engager quelque chose, voilà, et il tira de sa poche une vieille montre plate en argent, qui portait un globe terrestre gravé surn17 l’envers et dont la chaîne était en acier.n– Mais vous ne m’avez pas remboursé la somme que je vous ai déjà prêtée. Le terme est échu depuis trois jours.n– Je vous payerai les intérêts pour un mois encore, patientez.n– Il ne dépend que de moi, mon brave, de patienter ou de la vendre immédiatement.n– Me donnerez-vous un bon prix de la montre, Alena Ivanovna ?n– Mais c’est une misère que vous m’apportez là, mon ami, elle ne vaut rien, cette montre. La dernière fois je vous ai prêté deux beaux billetsnsur votre bague, quand on pourrait en avoir une neuve chez le bijoutier pour un rouble et demi. Donnez-moi quatre roubles, je la rachèterai, elle me vient de mon père. Je dois recevoir de l’argent bientôt.n– Un rouble et demi, l’intérêt pris d’avance. n
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Extrait tiré du roman Crime et châtiment
Mais l’âme du jeune homme était pleine d’un si cruel mépris, que malgré sa fierté naturelle et un peu naïve, il n’éprouvait aucune honte à exhiber ses haillons. Il en eût été autrement, s’il avait rencontré quelque personne de sa connaissance, ou un ancien camarade, chose qu’il évitait en général. Néanmoins, il s’arrêta net et 10 porta nerveusement la main à son chapeau, quand un ivrogne, qu’on emmenait dans une charrette vide, on ne sait où ni pourquoi, au trot de deux grands chevaux, le désigna du doigt en criant à tue-tête : « Hé ! toi, chapelier allemand ! » Le chapeau était haut, rond, tout usé, déteint, troué, couvert de taches, sans bords et tout cabossé. Cependant ce n’était pas la honte, mais un autre sentiment, voisin de la terreur, qui avait envahi le jeune homme.n
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Extrait tiré du roman Crime et châtiment
Alors il essaya de l’enlever en le remontant, mais il rencontra un obstacle ; dans son impatience, il allait avoir encore recours à la hache pour trancher le lacet et en frapper le cadavre, mais il n’osa pas se résoudre à cette brutalité ! Enfin, après deux minutes d’efforts, il parvint à couper le cordon, en se rougissant les mains, mais sans toucher le corps ; puis il l’enleva. Ainsi qu’il l’avait supposé, c’était une bourse que la vieille portait au cou ; il y avait encore, suspendues au cordon, une petite médaille émaillée et deux croix, l’une en bois de cyprès, l’autre en cuivre. La bourse crasseuse, en peau de chamois, était bourrée d’argent ; Raskolnikov la fourra dans sa poche sans l’ouvrir ; il jeta les croix sur la poitrine de la vieille et prenant cette fois la hache avec lui, il rentra précipitamment dans la chambre à coucher.n
Doubrovski d’Alexandre Pouchkine: confiscation du patrimoine
Le père de Vladimir Doubrovski, un propriétaire pauvre, a été victime d’un voisin rancunier, fier et riche, qui ne pouvait lui pardonner son refus d’accepter la muflerie. L'essence du conflit, qui poussera le héros du roman à entrer dans le nid familial, est terriblement simple. Si l'action se déroulait dans le contexte des réalités actuelles, les SMS de ces batailles ressembleraient à quelque chose comme ceci :
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Extrait tiré du roman Doubrovski
Doubrovski, avec sa fortune délabrée, fut obligé de prendre sa retraite et de se fixer dans le village qui lui restait. Cyrille Pétrovitch, en apprenant cela, lui proposa son influence, mais Doubrovski le remercia et resta pauvre et indépendant.n
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Extrait tiré du roman Doubrovski
Un jour, Doubrovski parcourait sa petite propriété, en approchant d’un petit bois de bouleaux, il entendit des coups de hache et, une minute après, le bruit d’un arbre abattu qui tombe ; il se trouva en présence de paysans de Pokrovski qui lui volaient du bois. En l’apercevant ils se sauvèrent, mais Doubrovski, avec l’aide de son cocher, en empoigna un qu’il attacha et amena chez lui ; de plus, deux chevaux ennemis devinrent la proie du vainqueur. Doubrovski était excessivement en colère ; auparavant, jamais les gens de Troiékourof, connus par leurs vols, n’osaient plaisanter dans les limites de sa propriété, connaissant son intimité avec leur maître.n
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