Early 19th century's clocks (in pic) are displayed at an exhibition of antique Breguet timepieces which has opened in St.Petersburg's State Hermitage Museum.
Yuri Belinsky/TASSCrédit : Iouri Belinsky / TASS
Le brevet de « Fournisseur de la cour » a toujours été un gage de qualité des marchandises. La cour impériale russe, tout comme les autres monarques, avait ses propres fournisseurs. Ce statut fut accordé à partir des années 1820, tandis que la marque spéciale du Fournisseur de la cour a été homologuée en 1856. À partir de 1862, les producteurs qui livraient leurs articles à la cour pendant au moins huit ans avaient eu le droit de placer les armoiries sur leurs enseignes.
Au début du XXe siècle, la liste de ces fournisseurs était publiée deux fois par an : à l’occasion de Noël et de Pâques. Pour y retrouver son nom, il était indispensable non seulement de livrer ses articles à la cour pendant huit à dix ans, mais également de proposer des prix modérés, de présenter ses produits aux expositions industrielles internationales et de ne faire l’objet d’aucune plainte de la part du consommateur. Toutefois, même quand le brevet ardemment désiré était délivré, il l’était personnellement au propriétaire de la société : en cas de changement, le nouveau propriétaire devait tout recommencer depuis le début.Au début du XXe siècle, la liste des fournisseurs compte au moins quarante entreprises dont une dizaine d’établissements étrangers, notamment la manufacture horlogère Breguet fondée par l’horloger et physicien français d’origine suisse Abraham-Louis Breguet. La société développe une longue et fructueuse relation avec l’Empire russe depuis le début du XIXe siècle.
« Au printemps 1808, après mûre réflexion et à la suite des excellents échos qu’il reçoit de ses clients russes, Breguet décide de tenter à Saint-Pétersbourg une expérience inédite, l’ouverture d’une véritable succursale (…) A.-L. Breguet trouve un candidat en la personne de Lazare Moreau », écrit le descendant du grand horloger, Emmanuel Breguet, dans son livre intitulé Abraham-Louis Breguet, l'horlogerie à la conquête du monde.
Le succès se profile dès la première rencontre de Lazare Moreau avec l’empereur russe Alexandre Ier : le tsar promet son appui et sa protection à l’entreprise. Lazare Moreau raconte avoir été reçu par Sa Majesté qui déclara être heureux de l’installation dans son pays de la célèbre famille Breguet et qui l’assura de son soutien et de sa protection.
Dans la capitale russe, Lazare Moreau vend plusieurs montres et pendules à l’empereur, établit des relations utiles et reçoit assez rapidement, dès novembre 1808, le titre officiel d’Horloger de Sa Majesté et de la Flotte impériale. La même année, l’entreprise vend en Russie 36 pièces horlogères dont 26 par le biais de sa succursale de Saint-Pétersbourg. Trois ans plus tard, les ventes atteignent 77 unités, soit 55% des ventes annuelles de la manufacture horlogère.
La Maison peut se vanter d’avoir parmi ses clients des aristocrates et des hommes d’affaires russes de familles comme Dolgorouki, Obolenski, Golitsyne et Demidov. Le comte Rostoptchine reçoit en 1802 sa montre Breguet de la part de l’ambassadeur de France en Russie, Gabriel de Hédouville. Le père du grand poète russe Alexandre Pouchkine, Sergueï, commande en 1806 chez Breguet une montre à répétition.
Alexandre Pouchkine. Crédit : Photo de presse
L’attachement des Russes à la marque n’est même pas ébranlé par la détérioration des relations entre la Russie et la France. Et bien qu’un décret ait interdit d’importer en Russie la production française et que Lazare Moreau ait fermé la succursale de Saint-Pétersbourg, presque tous les clients russes restent fidèles à la marque.
Un seul témoignage : au printemps 1814, les troupes russes entrent, victorieuses, à Paris et quelques jours plus tard, le magasin Breguet reçoit la visite incognito de l’empereur Alexandre Ier. Le tsar s’entretient avec le patron et déjeune avec lui avant d’acheter une ou deux montres. Les experts estiment que c’est au cours de cette visite que l’empereur russe commanda à Breguet des compteurs pour le pas cadencé : huit mécanismes furent livrés à la cour de 1820 à 1822.
L’intérêt du tsar pour l’entreprise horlogère joue un grand rôle dans la destinée de Breguet : le nombre de clients se rétablit, même si les commandes sont passées désormais non par la succursale locale, mais par des médiateurs. Tous les ans, la manufacture horlogère reçoit au moins vingt-cinq commandes en provenance des clients russes. Certains font le déplacement et viennent au magasin en personne, mais la plupart préfère adresser ses commandes via l’ambassade de Russie à Paris.
Crédit : Photo de presse
De 1814 à 1823, les Russes achètent 240 montres, la marque devient un nom commun et tout un chacun sait aujourd’hui qu’Eugène Onéguine (du roman en vers éponyme de Pouchkine, ndlr) se promenait sur le boulevard « jusqu’à ce que sa vigilante Bréguet ait marqué l’heure du dîner ». Jusqu’à la Révolution d’octobre de 1917, la Russie reste le principal marché d’exportation pour l’entreprise.
« Breguet a transformé les montres en objet de culte et en symbole de prestige, indique Timour Baraïev, historien expert de l’art horloger et ex-rédacteur en chef du magazine Watch Russie. Il a réalisé une grande contribution au perfectionnement des mécanismes, il a inventé le tourbillon et a travaillé à d’autres avancées. Il a été à l'origine de l'introduction du guillochage en horlogerie et a doté le spiral de ce qui porte depuis le nom de « courbe Breguet ». En fait, Breguet est à la Suisse ce que Pouchkine est à la Russie ».
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