Frédéric Beigbeder.
Maria TchobanovRBTH : Quel chemin vous a conduit vers le Festival de Honfleur ?
Frédéric Beigbeder : Dans mon film L’Idéal dont l’action se passe à Paris et à Moscou, un des rôles principaux est joué par un acteur russe, Alexey Guskov. Nous avons parlé du cinéma pendant le tournage et il m’a invité à voir Criminel, le dernier film qu’il a tourné, du réalisateur Viktor Dement. C’est un très grand film, un des plus beaux que j’ai vus cette année. C’est l’ami d’Alexey, Elena Duffort, qui s’occupe aussi du Festival de Honfleur, qui m’a proposé de présider le jury. Je connais un peu le cinéma russe et j’adore la Normandie. J’ai accepté.
Quelle a été votre première rencontre avec la Russie ?
Je suis allé en Russie pour la première fois au salon du Livre au début des années 2000. C’était un peu la folie, la fête, la liberté, beaucoup d’énergie, notamment à Moscou. C’était assez excitant. Bien sûr, j’étais très impressionné par cette ville, mais aussi par la beauté et la poésie de Saint-Pétersbourg. Depuis, j’ai voyagé beaucoup : je connais Ekaterinbourg, Perm, Nijni Novgorod.
L’accueil du public en France est-il différent de ce qu’il est en Russie ?
J’ai l’impression que les lecteurs russes sont plus heureux de me voir, que les Français. Peut-être, parce que ils me voient moins souvent. Pour les Français je suis trop banal. Je me suis dit que peut-être 99 francs, le livre qui critique le système capitaliste et qui est en même temps très cynique et qui donne un mode d’emploi très méchant de ce monde de la publicité, a pu apparaître pour certains comme une sorte de guide pratique de ce qu’est le mode de vie publicitaire. En plus, il y a une chose commune à tous mes livres, que ce soit Windows on the World, Égoïste romantique ou L’amour dure trois ans, tous ces livres parlent d’un personnage qui est déçu, qui a perdu ces illusions. Au fond, ma génération est une génération qui est en deuil des utopies. On ne peut plus tellement espérer en grand-chose. Et chaque fois qu’on espère en quelque chose, on est déçu. Peut-être qu’on trouve dans mes livres ce point commun – qui parle aux Russes.
Quelle idée vous êtes-vous fait des Russes ?
Chaque fois que je rencontrais les gens, j’avais l’impression de sensibilité, de lyrisme, de poésie, d’humanité. Je pense que la qualité des Russes, c’est l’absence de ce que les Américains appellent « small talk », c’est-à-dire parler pour ne rien dire. Je pense, qu’en Russie, les gens, qui ont beaucoup souffert, ont moins de temps à perdre. Ils vont plus vite au cœur des choses.
Dans votre film L’Idéal, vous montrez la Russie sous un angle peu flatteur. N’avez-vous pas peur de perdre une partie de vos admirateurs ?
Ce n’est pas la satire de la Russie, c’est d’abord la satire du luxe français. Le film s’attaque à la vision de la beauté imposée par la France au reste du monde. C’est ça que je critique. Il se trouve que le héros est un « model scout », un recruteur modèle, et lorsqu’on fait ce métier, on cherche de jolies filles, qu’on trouve le plus souvent à Moscou ou ailleurs en Russie. C’est à Samara que mon héros trouve la plus belle fille du monde. On ne peut pas m’accuser de me moquer des Russes. Je tourne en dérision une certaine catégorie de Russes, les oligarques, les gens qui ont d’un seul coup hérité de milliards de roubles et qui ne savent pas trop quoi en faire. Il y a deux pays vraiment forts en satire : c’est la Russie et la France. Gogol, Tchekhov, Voltaire – ce sont eux qui l’ont inventé et peut-être aussi Cervantès en Espagne avec son Don Quichotte.
Pourquoi vous être lancé dans le cinéma ?
Une des raisons, c’est pour changer de vocabulaire. Je pense qu’écrire des mots ou des phrases et écrire une image, c’est très différent. C’est comme apprendre une autre langue – le chinois, le russe ou le français à 50 ans. Moi, à 50 ans, j’avais envie d’apprendre un autre langage qui est le cinéma.
Aimeriez-vous adapter une œuvre de la littérature russe ?
Ce serait merveilleux. Dans les auteurs contemporains il y a de très-très belles choses. Ce serait marrant d’adapter le roman de Victor Pelevine, surtout qu’on parle souvent de la même chose : la société de consommation, les excès de notre folie du luxe.
Citez un film auquel vous pensez quand on vous dit « le cinéma russe ».
Je fais un effort pour ne pas dire Le cuirassé Potemkine, – j’imagine, que les Français évoquent ce film chaque fois qu’on leur pose la question. Je dirais L’Arche russe. En dehors de la prouesse technique (j’imagine les mois de répétitions nécessaires pour arriver à faire ce plan d’une heure et demie-deux heures), il y a 300 ans de l’histoire dans ce film. Je le recommande à des gens qui ne connaissent pas la Russie et qui voudraient comprendre un peu mieux ce pays. C’est aussi le moyen de visiter les plus beaux musées du monde.
Que pensez-vous de l’initiative consistant à organiser tous les ans le festival du cinéma russe dans une petite ville normande ?
C’est très, très bien. En ce moment nos dirigeants ne veulent pas se parler, ni se voir et heureusement, au niveau culturel, ça se passe autrement. Il y a une exposition de la collection Chtchoukine à Paris, qui est une des plus grandes manifestations artistiques au monde actuellement. Une cathédrale russe vient d’être achevée sur les berges de la Seine. Je passe en scooter très souvent devant cet endroit et je trouve que c’est un geste architectural très réussi. C’est un bel édifice et c’est un beau symbole. Et il y a le Festival de Honfleur. Voilà trois beaux événements où Français et Russes peuvent s’entendre et échanger sur des sujets artistiques.
Que-est que vous attendez du Festival de Honfleur ?
C’est la curiosité, comme toujours, quand on a l’honneur d’être dans un jury. C’est de se consacrer, d’avoir des yeux ouverts et d’être étonné. La chance de voir de nouveaux films, c’est un luxe.
J’ai hâte de découvrir ! Si l’on décide qu’on connaît tout, qu’il n’y a plus rien à découvrir, le lendemain, on meurt.
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