La Danse des chevaliers du ballet Roméo et Juliette ou la valse de Natacha de l’opéra Guerre et paix retentissent tant dans des jeux vidéo que dans les sonneries de portables, alors qu’il y a à peine cinquante ans, sa musique était qualifiée de « novatrice » et « audacieuse ».
Le destin de Sergueï Prokofiev est paradoxal, mais à première vue seulement. Né à une époque de cataclysmes globaux, seule la musique l’intéressait. Sa propre musique.
Si Sergueï Prokofiev avait vécu à notre époque d’innombrables débats télévisés, il aurait dû sans doute répondre à la question suivante : « Que feriez-vous si vous n’étiez pas compositeur ? » Et il aurait pu dire : « J’ai été un grand pianiste, j’ai gagné aux échecs contre le grand joueur cubain Capablanca, mais depuis ma jeunesse, j’ai toujours aspiré à devenir l’un des compositeurs les plus joués dans le monde ».
Sur l’une de ses premières photos, le petit garçon de 9 ans vêtu d’une blouse de matelot est assis devant un piano où sont posées des partitions avec une inscription : « Opéra Le Géant composé par Sergueï Prokofiev ». Deux ans plus tard, l’enfant avait cours de composition avec Reinhold Glière, compositeur russe puis soviétique à succès.
Source : RIA Novosti
Sa mère, très bonne musicienne qui croyait fermement au grand avenir de son fils, a quitté leur province éloignée quand il avait 13 ans pour venir s’installer à Saint-Pétersbourg. Sergueï s’est inscrit au Conservatoire où il avait cours avec les meilleurs musiciens de l’époque dont Nikolaï Rimski-Korsakov, le pilier de l’opéra russe.
A 16 ans, Sergueï Prokofiev est sorti du Conservatoire avec un diplôme de composition (quelques années plus tard, il a obtenu celui de pianiste). Son diplôme était assorti non seulement d’une médaille, mais également de plusieurs œuvres et de la réputation de l’un des plus grands espoirs du monde artistique russe.
Le jeune compositeur a été rapidement remarqué par l’éditeur musical russe Boris Jurgenson et, plusieurs années plus tard, il a reçu une commande de la part de la légende du monde théâtral, Serge Diaghilev, afin de réaliser une partition pour ses Saisons russes à Paris.
Cette carrière éblouissante aurait pu être brisée par la Première Guerre mondiale et la Révolution russe. C’est ce qui est arrivé à nombre de talents promis à un avenir brillant. Cependant, Prokofiev avait non seulement la capacité de créer son monde musical, mais également de le défendre et de le protéger. Pendant que ses contemporains se jetaient de tous côtés ne sachant que faire et où vivre, il a décidé que son objectif serait l’Amérique.
C’était alors l’unique endroit où il était possible de penser uniquement à la création. La nouvelle musique, chargée de dissonances et d’une harmonie insolite, semblait trop complexe à certains. Même le charisme de Prokofiev ne l’aida pas toujours à la promouvoir.
Il recourut alors à sa virtuosité de pianiste : ayant obtenu un contrat pour un concert de piano, il incluait ses propres œuvres au programme. C’est de cette période que datent non seulement plusieurs concertos pour piano, mais également les opéras L’Amour des trois oranges et L’Ange de feu, les Seconde et Troisième symphonies, ainsi que le ballet Le Fils prodigue qui, aujourd’hui encore, font partie de ses œuvres les plus populaires.
Toutefois, dans les années 1930, Prokofiev devint conscient que pour le monde occidental, la place de premier compositeur était occupée par un autre Russe, Igor Stravinski.
Après trois voyages en Union soviétique, Sergueï Prokofiev a réalisé que le jeune pays constituait un digne contrepoids à l’Europe et à l’Amérique, avec ses dizaines de millions de spectateurs, ses salles de concert en construction dans toutes les régions et ses orchestres en voie de formation. Le développement impétueux de l’URSS a ému le monde culturel occidental et en 1936, le compositeur est rentré au pays avec sa femme et ses deux fils.
Sergueï Prokofiev devient le premier compositeur du pays et a à peine le temps d’exécuter les commandes qui pleuvent de partout, notamment du théâtre Mariinski et du Bolchoï, ainsi que du réalisateur Sergueï Eisenstein. Il doit toutefois « ajuster » son style à fort caractère aux idées du réalisme socialiste dans la musique.
Sergueï Eisenstein et Sergueï Prokofiev en 1937.
Il n’en était pas effrayé, tout comme il n’était pas dégoûté par les commandes idéologiques. Ainsi, à côté du conte grotesque Pierre et le loup, il a composé la Cantate pour le 20ème anniversaire de la Révolution d’Octobre sur les paroles de Marx, Engels, Lénine et Staline et une cantate pour le 60ème anniversaire de Staline où il a continué à développer ses idées musicales.
Mais même trois prix Staline attribués en 1946 au compositeur ne lui ont pas permis d’échapper au rouleau de l’histoire : son œuvre a été reconnue idéologiquement étrangère au réalisme socialiste après l’opéra de Mouradeli La Grande amitié au Bolchoï, le livret faisant état de relations tendues entre les Russes et les peuples du Caucase du Nord.
Malgré cela, les ballets de Prokofiev et son opéra Guerre et paix faisaient toujours parties du répertoire des principaux théâtres du pays. Plusieurs années plus tard, il a de nouveau reçu des commandes et a touché un autre prix Staline. Toutefois, le compositeur n’a pas réussi à se remettre de ses émotions. Il est mort le même jour que Staline, ce qui a fait que son décès est passé inaperçu. Mais Sergueï Prokofiev a gagné la partie : sa musique est jouée partout dans le monde et ne connaît pas de frontières.
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