Ioulia Reitlinger.
Service de presseDans les années 1920-1930, lorsque l’Eglise orthodoxe était victime de persécutions en Russie, quand les icônes et les autres valeurs religieuses étaient détruites, un peintre russe a réussi, loin de son pays, à garder le secret d’un art séculaire.
La peinture des murs de l'église Saint-Jean-le-Guerrier à Meudon. Source : Service de presse |
Ioulia appartient à la famille des barons Reitlinger. Elle est née à Saint-Pétersbourg en 1898 dans la famille d’un général. Adolescente, la fillette a commencé à perdre l’ouïe. Par contre, elle avait une vue particulière et ressentait finement la couleur et les proportions. Et dessinait beaucoup et avec entrain.
La Révolution d’Octobre et la guerre civile ont pris la famille au dépourvu en Crimée. Ses sœurs aînées et sa mère ont succombé à la typhoïde. Elle perdit ses liens avec son père. Fuyant la région avec sa sœur cadette, Katia, elle a franchi la frontière. Les deux jeunes filles ont longtemps erré avant de se retrouver en Tchécoslovaquie. C’est ici que Ioulia commence à s’initier à la peinture, à l’Académie des Beaux-Arts de Prague.
Un peu plus tard, elle quitte la ville à destination de Paris, où elle entre aux Ateliers d’art sacré de Maurice Denis, un représentant éclatant de l’Art Nouveau fasciné par les sujets mystiques et religieux. Mais avec le temps, Ioulia commence à comprendre qu’un tableau habituel ne lui permet pas de refléter dignement et intégralement un sujet religieux, le message qu’il véhicule à l’homme.
Comment réunir la beauté et la prière ? Cette idée occupe nuit et jour les pensées de la jeune femme. Cette union harmonieuse, elle la voit dans l’art de l’iconographie. Elle ne tarde pas à trouver des compagnons de route.
En 1925, Paris voit apparaître l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge et la paroisse Saint-Serge qui abritent l’association d’étude des arts de la vieille Russie, baptisée Icône. Cette organisation constitue la base des Ateliers d’iconographie de Paris où vient étudier Ioulia Reitlinger. Certaines icônes ont pu être sorties de la Russie, en proie à un incendie révolutionnaire, et se sont retrouvées à l’étranger. C’est grâce à elles que la jeune femme a appris à maîtriser cet art.
"Adam et Eve au Paradis", Ioulia Reitlinger. Source : Service de presse
D’une part, les spécialistes voient dans les icônes de Ioulia Reitlinger l’influence des grands de cette époque : Matisse, Gauguin et Chagall. D’autre part, ils constatent l’empreinte du « loubok », cette gravure populaire russe un peu primitive, mais très touchante, à laquelle Ioulia voue une grande admiration. Des lignes assurées, des touches rapides et vigoureuses. Les visages de ses saints ne sont pas menaçants en vue d’intimider le pécheur, ils sont humains et bienveillants, invitant à parler de Dieu.
Les ateliers de Ioulia Reitlinger sont les églises orthodoxes de Paris et d’autres villes françaises : elle y réalise fresques et icônes. Elle exécute sa première fresque à la peinture mate sur du carton qui sert à garnir les murs d’un modeste bâtiment qui deviendra l’église Saint-Séraphin-de-Sarov, rue Lecourbe à Paris.
En 1936, Ioulia Reitlinger décide de devenir religieuse et prend le nom de sœur Ioanna. En 1940, elle entre dans une période de lourdes épreuves.
Paris étant occupée par les nazis, l’association Icône se voit contrainte de se réunir en secret. De nombreux amis de Ioulia trouvent la mort dans les camps nazis, tandis qu’elle-même perd presque totalement l’ouïe, les bouleversements ayant laissé leur trace sur sa santé.
"Sainte Mère de Dieu", Ioulia Reitlinger. Source : Service de presse
La victoire de l’Union soviétique dans la Seconde Guerre mondiale enthousiasme nombre d’émigrés qui souhaitent revenir dans leur pays d’origine. Sœur Ioanna s’y décide elle aussi. Les premiers Russes rapatriés sont directement déportés dans les camps. Ceux de la deuxième vague sont envoyés en Asie centrale : Ioulia se trouve parmi eux. Elle travaille dans une entreprise textile de Tachkent (Ouzbékistan) où elle crée le décor de foulards en soie. Dans son temps libre, elle se remet à la réalisation d’icônes. C’est à Tachkent qu’elle décède à l’âge de 90 ans.
Les peintures de sœur Ioanna à l’église russe Saint-Jean-le-Guerrier à Meudon ont beaucoup souffert pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans l’après-guerre, le bâtiment a été envahi par des SDF qui ont brûlé les icônes…
Par chance, Nikita Struve, chercheur parisien d’origine russe, a réussi à sauver les fresques de sœur Ioanna et à les transporter en Russie. Les travaux de restauration ont duré sept ans.
"Nativité du Christ", Ioulia Reitlinger. Source : Service de presse
Aujourd’hui, ces chefs-d’œuvre sont exposés à Moscou, à la Maison des Russes de l’émigration Alexandre Soljenitsyne, ce centre culturel qui préserve la mémoire des grands émigrés russes. Le centre abrite aussi les studios Rousski pout (Route russe) où le réalisateur Boris Krinitsyne a tourné son film Femme peintre. Sœur Ioanna.
Aujourd’hui encore, sœur Ioanna a des adeptes des nationalités et religions les plus différentes. De jeunes peintres étudiant l’art de l’icône russe viennent au monastère orthodoxe de Bussy-en-Othe et dans d’autres églises de France pour admirer ses œuvres, comme Saint-Jean-le-Précurseur, Saint- Séraphin-de-Sarov, la Nativité et la Création du monde.
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