Peu avant sa mort, Tchekhov a écrit à sa femme, Olga Knipper : « Tu demandes : qu’est-ce que la vie ? C’est comme demander : qu’est-ce qu’une carotte ? Une carotte c’est une carotte, et l’on n’en sait pas plus ».
Tchekhov considérait que « si dans la vie il y a un sens et un but, alors ce sens et ce but ne sont absolument pas dans notre bonheur, mais dans quelque chose de plus raisonnable et grand ».
L’auteur affirmait par ailleurs que l’homme est heureux tant qu’il ne voit pas le malheur et n’entend pas celui des autres. Il ajoutait d’ailleurs que derrière la porte de chaque personne heureuse devrait se tenir quelqu’un avec un petit marteau, qui frapperait sans cesse pour lui rappeler qu’il existe des gens malheureux, et que la vie finira par lui faire connaître pareille situation. (À notre époque, ce « petit marteau » ne serait-il pas les réseaux sociaux ?)
L’homme contemporain reçoit d’Internet une immense quantité d’informations, mais cela ne signifie pas pour autant que les personnes les partageant sont d’accord avec ces dires ou y croient.
Le héros du roman Les Frères Karamazov disait : « Non, l’esprit humain est trop vaste ; je voudrais le restreindre ». Cela le troublait en effet que des pensées on ne peut plus contradictoire puissent coexister dans un seul homme.
Des exemples de ce type se trouvent également dans le roman Les Démons. Stavroguine, dans son dialogue avec Chatoff, avoue être athée. Son interlocuteur n’y voit alors que mensonge et se rappelle de deux phrases prononcées deux ans auparavant par Stavroguine, à propos du fait que les Russes sont un peuple « déifère » et qu’« un athée cesse à l’instant même d’être Russe ».
« Ne serait-ce pas vous qui me disiez, - hurle Chatoff à l’adresse de Stravroguine, - que si l’on vous démontrait mathématiquement que la vérité était en dehors du Christ, alors vous seriez d’accord pour rester avec le Christ, plutôt qu’avec la vérité ? »
Cette phrase au sujet du Christ et de la vérité se retrouve même dans des lettres de Dostoïevski en personne.
Dans ses œuvres, Tolstoï s’éloigne intentionnellement du moment présent, tout est éphémère, mortel et vain.
Au centre de sa conception du monde se dresse la morale, tandis que, selon lui, tout développement de la civilisation ne rend l’homme que plus mauvais : les gens font l’amour non plus dans le seul but de se reproduire, portent des vêtements non plus pour se réchauffer, mais pour paraître. L’écrivain souhaitait soustraire ses héros du cercle familier et les ramener à un état naturel et simple.
Dans Guerre et Paix, André Bolkonsky, blessé, chute et se retrouve dans un état qui ne lui était jusqu’alors pas familier : il gît sur le dos, à terre. Il observe alors le ciel et s’étonne : comment avait-il pu ne jamais voir cette haute voute céleste auparavant ? Et il est heureux de l’avoir fait. Il se demande alors pourquoi ils se sont battus avec les Français, pourquoi ils avaient crié, couru, dans quel but ?
« Comment ne l’avais-je pas remarquée plus tôt, cette profondeur sans limites ? Comme je suis heureux de l’avoir enfin aperçue !... Oui ! tout est vide, tout est déception, excepté cela ! »
Dans Anna Karénine, la femme du frère de l’héroïne accuse son mari de tromperie en lui montrant une note. Néanmoins, son époux n’est pas tourmenté par les simples faits passés, mais par sa propre réaction à la situation.
« Comme il arrive souvent, ce n’était pas le fait en lui-même qui touchait le plus Stépane Arcadiévitch, mais la façon dont il avait répondu à sa femme. Semblable aux gens qui se trouvent impliqués dans une vilaine affaire sans s’y être attendus, il n’avait pas su prendre une physionomie conforme à sa situation. Au lieu de s’offenser, de nier, de se justifier, de demander pardon, de demeurer indifférent, tout aurait mieux valu, sa figure prit involontairement (action réflexe, pensa Stépane Arcadiévitch qui aimait la physiologie) – très involontairement – un air souriant ; et ce sourire habituel, bonasse, devait nécessairement être niais ».
Parmi toutes les conventions de la société, parmi les innovations et les changements perpétuels, Tolstoï semble nous demander par ce biais : mais où est le véritable homme ?
Russia Beyond remercie Dmitri Bakou et à la plateforme culturelle « Communication vivante » pour leur aide dans la réalisation de cet article.
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