Léonid Sokov et son Roly-Poly Crédit : service de presse
Léonid Sokov et son Roly-Poly Crédit : service de presse |
Au-delà de l’idéologie comme objet de consommation, fondement de la pensée du Sots art (le « Pop art » soviétique), c’est la rencontre explosive entre l’idéologie et la société de consommation que met en scène, dès ses débuts, Léonid Sokov, artiste russe émigré aux États-Unis depuis 1979. Un clash qui se transformerait presque en histoire d’amour. Coup de foudre entre Marilyn Monroe et Staline, ainsi pourrait-on paraphraser les toutes premières œuvres de Léonid Sokov qui mettent en scène deux icônes du XXe siècle. L’une est artiste et américaine, l’autre, idéologue et soviétique.
« ‘‘Le Pop art ne peut exister dans une société de déficit total’’, dit l’axiome. Sous l’Union soviétique, l’art n’était pas une réponse à l’image commerciale, mais à la propagande. D’où l’apparition du Sots art », résume le commissaire de l’exposition, Andreï Erofeev.
Chez Léonid Sokov, cette étude en perspective des mouvements artistiques s’est affinée avec le temps, et a pris du relief. Son exposition Songes sur le Pop art mène la pensée vers des réflexions subtiles sur l’essence même de l’œuvre-création : l’ébauche est-elle déjà œuvre ? Un ouvrage non abouti est-il voué à le rester ? L’incarnation d’une œuvre vingt ans après fait-elle de la pensée un produit périmé ?
Réalisées en 2014 sur des esquisses des années 1970, les sculptures inédites de Léonid Sokov balayent l’idée d’une obsolescence artistique. L’artiste taille dans ses réflexions, trace les contours, découpe, épannèle, ébauche le songe pour une finition à la dimension tant scénique que réflexive. Tel est le songe représenté : une réalité imaginée. « Créer est une émotion instantanée. L’artiste ne crée pas un objet, il reproduit avec flair et justesse la perception du monde de façon existentialiste », a confié Léonid Sokov à RBTH.
Son travail autour de l’ombre incarne bien l’idée d’une réalité inversée. Plus lourde, plus massive et plus grossière que l’objet en question, on s’y heurte brutalement. « Cette ombre, c’est l’idée platonicienne matérialisée. C’est le mythe qui transforme l’homme ordinaire en légende. Mais il ne s’agit en fait que d’une ombre parfois un peu trop pesante », révèle l’artiste.
Qu’il s’agisse d’une chaise aux traits épais, d’une fenêtre aux contours rigides, ou encore du piédestal sur lequel sont posées les statues de bronze miniatures des deux dictateurs des années 1930, poursuivis par une gigantesque forme obscure, l’ombre force le regard à se figer sur l’impalpable, l’évanescent, le presque inexistant. Et pourtant, quoi de plus réel que l’ombre à l’ego démesurée d’Hitler et de Staline ?
Derrière cette pesanteur de l’histoire, Léonid Sokov conserve une approche décalée qui restitue à l’art toute sa fonction poétique. L’onirisme par le subversif ! Ses créations jouissent d’un espace de dérision qui lui permettent de s’approprier les mots-objets, de se jouer volontairement des cultures (ethniques et nationales, religieuses et païennes, artistiques et esthétiques), allant jusqu’à transgresser leurs propres frontières.
« Ne pas s’approcher, je bute », lit-on en russe sur une planche attachée à Shurik, un des personnages « fil conducteur » du sculpteur. L’artiste turbulent est volontairement insolent, ostensiblement indécent. Une vulgarité sobrement étudiée, reflet d’une fraction de la société jugée impropre, que l’idéologie tente d’éradiquer. Absurdité du système et non de l’art. L’échelle, dont l’ascension reste vaine car des vitres ont bloqué son accès, est une belle métaphore de ce non-sens et de la violente déraison qui agite l’Homme.
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