Valentin Serov, L'enlèvement d'Europe, 1910. Galerie Trétiakov.
« Notre cher peintre », voudrait-on dire en parlant de Valentin Serov. Le mot « cher », en russe comme en français, s’adresse à quelqu’un qui d’aimé et indique également un prix élevé. Dans cette dualité, une certaine poésie côtoie une sorte de cynisme, mais l’œuvre de Valentin Serov (1865-1911), l’un des peintres que les Russes admirent le plus, est un modèle de valeur et un exemple de prix record. A l’automne dernier, le Portrait de Maria Zetlin a été vendu pour 9,26 millions de livres sterling chez Christie’s, devenant simultanément l’œuvre la plus chère du peintre et de toute l’histoire des Semaines de l’art russe à Londres.
Le seul à avoir claqué la porte de l’Académie des Beaux-Arts
Sa peinture est située au carrefour de différentes traditions, il était aussi bien membre de l’Amicale des expositions artistiques itinérantes (Peredvijniki), de la Sécession viennoise et de la Sécession de Munich que symboliste du « Monde des arts ».
Peintre fin et dessinateur de talent, Valentin Serov étudie auprès de nombreux maîtres. Toutefois, deux ont particulièrement marqué sa destinée. Dans le domaine du dessin, Valentin Serov, qui part avec sa mère pour Munich après la mort de son père, est formé par Karl Koepping. Quelques années plus tard, quand Serov abandonnera ses études à l’Académie des Beaux-Arts impériale, il lui tiendra compagnie lors d’une tournée en Hollande et en Belgique pour lui apprendre l’art de l’eau-forte. L’autre jalon de la vie de Serov est la rencontre avec Ilia Repine, représentant du mouvement Ambulant. Dans un premier temps, Serov prend des cours chez lui à Paris et continue d’en prendre à Moscou, avant de partir avec lui dans un voyage à Zaporojié et en Crimée.
Sa biographie comporte un autre détail intéressant. Le grand peintre, qui pouvait travailler tant sur les planches que sur « l’espace » d’une page de livre, devenu en 1903 membre de l’Académie impériale des Beaux-Arts, quitte cette dernière. Le président de l’Académie cumulait son poste avec celui de commandant en chef de la région militaire de Saint-Pétersbourg et, après le Dimanche rouge de 1905, Serov manifeste sa position civique en devenant l’unique académicien de toute l’histoire de l’établissement à quitter ce dernier en signe de protestation.
Le portrait comme histoire de l’homme, le tableau historique comme portrait de l’époque
Né dans une famille de musiciens, Valentin Serov rend hommage aux milieux artistiques par ses portraits. Il représente également la famille impériale. Ainsi, il se voit attribuer le Grand Prix à l’Exposition universelle de 1900 à Paris pour le portrait du grand-duc Pavel Alexandrovitch (le frère de l’empereur Alexandre III). Cependant, il devient célèbre grâce à d’autres portraits : ceux de l’actrice Maria Yermolova, de l’actrice et danseuse Ida Rubinstein, des peintres Isaac Levitan et Konstantin Korovine, du ténor Francesco Tamagno, de l’épouse d’un collectionneur, Henriette Ghirshman. Valentin Serov renouvelle le genre du portrait officiel : tout en restant artistiques, ses modèles ne représentent pas solennellement quelqu’un, mais vivent en restant eux-mêmes. Le caractère officiel du portrait ne relègue pas la psychologie au second plan. Toutefois, l’un de ses portraits les plus célèbres reste La Jeune fille aux pêches, avec son jeu de lumières et de couleurs presque impressionniste, mais fidèle à la lettre du réalisme dans la représentation de la fille du mécène Savva Mamontov.
Et bien que Valentin Serov soit célèbre comme portraitiste, ceci ne diminue en rien son intérêt ni pour les paysages dans toutes les nuances de la palette de couleurs, ni pour la peinture mythologique (avec le tableau L’Enlèvement d’Europe rappelant la peinture murale, éclatante et laconique au niveau des détails), ni pour le tableau historique qu’il interprète également à sa manière. Les membres du « Monde des arts » s’intéressent à l’histoire, mais le « portrait » de l’histoire de Valentin Serov met l’accent sur le genre. Aussi bien quand il représente Pierre le Grand marchant dans les marécages du futur Pétersbourg que lorsqu’il « suit » Pierre II et Elisabeth Ière à une joyeuse partie de chasse.
Mais son grand talent varié cachait un profond spleen. L’un des grands critiques de l’époque, Abram Efros, évoque « l’ennui de Serov », en se rappelant ses lettres où les joies de la belle vie côtoyaient les tourments de la création chez un homme pourtant tout-puissant dans la peinture. Abram Efros qualifie Valentin Serov de « père secret » des futurs « suprématistes », qui « ont fait dans l’art moderne précisément ce qu’il a fait, lui, avec les genres anciens ».
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